Interview : Manandafy Rakotonirina


Par Joël Ralaivaohita, le 14/04/2002

Conseiller spécial du président Marc Ravalomanana et leader du parti MFM, Manandafy Rakotonirina nous livre ses impressions et son analyse sur la situation actuelle.

Pas de guerre civile

Selon Manandafy, "Faire sauter un pont est un acte de guerre, tenter de mettre le feu à un stock de carburant est également un acte de guerre ". Reconnaissant que le camp de Didier Ratsiraka, dans le bras de fer politique actuel essaye à chaque fois de mettre l'huile sur le feu, Manandafy Rakotonirina ne croit pas, pour autant, à l'avènement d'une guerre civile aussi meurtrière que celles qu'a connu au cours des dernières décennies le continent Africain. Même si, comme il le dit, "les actions de Didier Ratsiraka dépassent déjà largement la joute électorale ". Le Conseiller spécial de Ravalomanana, convaincu de la nature pacifique des Malgaches, d'une façon globale, estime que des incidents auront lieu mais quelques pertes en vie humaines suffiront pour que les citoyens se ressaisissent. D'après Manandafy, si sur le continent Africain, les guerres fratricides sont d'une gravité souvent extrêmes c'est parce que "ce sont des intérêts étrangers qui dictent la vie politique des pays ". Cela dit "ce sont les immixtions étrangères qui peuvent être très dangereuses ".

Du déjà-vu

"Nous avons déjà vécu la même situation, à la chute de Tsiranana, durant la première République, et après l'empêchement de Zafy Albert en 1996. Le pays a connu autant de troubles " rappelle Manandafy qui soutient que "c'est une expérience déjà vécue ". Et par conséquent, pas aussi dramatique que l'on croit.

Vers la neutralisation de Didier Ratsiraka

Pour Manandafy, fin stratège recommandé spécialement à Ravalomanana par les chefs des églises chrétiennes au cours de la période électorale, "l'installation des présidents de la délégation spéciale au niveau des six provinces de la Grande Ile sonnera la fin du règne de Ratsiraka, et cela ne devra pas trop tarder. Le cas de Fianarantsoa, où le président de la délégation spéciale nommé par Ravalomanana à la tête de la province est en train de déloger le gouverneur placé par Ratsiraka, doit avoir un effet d'entraînement ". Mais Manandafy reconnaît que, pour ce faire, "il faut avoir l'effectivité du commandement au niveau des forces de l'ordre ". A Fianarantsoa, une fraction importante de l'armée et de la police est derrière le président de la délégation spéciale. Mais malheureusement, à Antsiranana, poursuit Manandafy, "le gouverneur fait la loi, ce qui semble être le cas à Toamasina aussi ". Et de conclure que "une fois les bras droits de Didier Ratsiraka réduits au silence, il ne pourra plus agir à sa guise ". Et pour étayer ses propos, le conseiller spécial de Ravalomanana rappelle que Tsaranazy et Sophie Ratsiraka sont déjà recherchés officiellement. L'optimisme de Manandafy Rakotonirina repose sur le fait que, comme il le dit, "depuis l'investiture de Marc Ravalomanana, le 22 février, ce dernier gagne systématiquement du terrain, alors que Didier Ratsiraka voit sa marge de manoeuvre de plus en plus réduite ".

Une nouvelle Haute Cour Constitutionnelle

A la suite de l'annulation de la nomination des membres de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), la juridiction qui a proclamé les résultats officiels de la présidentielle du 16 décembre, Manandafy annonce que "dans les prochains jours une nouvelle HCC sera mise sur pied, et c'est Ravalomanana qui va nommer les trois membres prévus pour le quota du président de la République, et que peu importe si Ratsiraka ne l'accepte pas". Quand l'institution sera en mesure de fonctionner "elle pourrait s'atteler à un nouveau décompte de voix, ou valider la disqualification de Didier Ratsiraka, une requête en ce sens ayant été déposée par le camp Ravalomanana durant la période électorale ".

Un pouvoir en voie de légalisation

Le pouvoir dirigé par Marc Ravalomanana est, certes, légitime mais pas encore tout à fait légal. Selon Manandafy "la présentation du programme de gouvernement de Jacques Sylla, le Premier ministre de Ravalomanana, à l'Assemblée nationale fin mars, est déjà un premier acte de légalisation du pouvoir détenu par le nouveau président ". De plus, poursuit-il "Ravalomanana accepte de jouer le jeu de la Constitution, l'administration est par ailleurs en marche ". La mise en place de la nouvelle HCC devra permettre d'avancer un peu plus loin sur ce terrain de la légalité.

Vers une reconnaissance au niveau internationale

D'après notre interlocuteur "la reconnaissance du pouvoir dirigé par Ravalomanana par la communauté internationale relève du jeu d'intérêt. Et que si les partenaires étrangers de Madagascar estiment que Marc Ravalomanana peut garantir leur investissement et leur appui financier au pays, la reconnaissance, peu à peu, sera effective ". Sans doute aussi, elle est liée à la légalisation du pouvoir de Ravalomanana.

Un point négatif à cause des barrages

Les barrages installés par les partisans de Didier Ratsiraka sur les routes nationales pour asphyxier économiquement la province d'Antananarivo ne sont pas encore levés, et Manandafy reconnaît que cela constitue "un point négatif pour Ravalomanana " tout en estimant que "ces barrages sont encore plus négatifs pour Ratsiraka ".

Pas d'autres alternatives

A ceux qui pensent que la prise du pouvoir par Ravalomanana aurait pu être facilitée avec la tenue d'un second tour de la présidentielle, Manandafy répond que "Didier Ratsiraka aurait pu, au cours d'un second tour, aggraver ses velléités de fraudes électorales, peut-être jusqu'à utiliser des armes si c'était nécessaire ". Et que, selon lui, "la présence d'observateurs étrangers n'aurait point empêcher Ratsiraka d'agir à sa guise ". " Voyez, ce qui s'est passé au Zimbabwe, les observateurs internationaux n'ont pas pu arrêter la brutalité de Mugabe ", soutient notre interlocuteur. Avant la tenue du scrutin, Manandafy affirme avoir contacté les chefs des églises et les ambassades à Madagascar pour leur dire que "la gestion de l'élection ne doit pas être laissée entre les mains de Didier Ratsiraka, un fraudeur notoire ". Car "la société civile et les hommes politiques n'accepteront pas de se laisser faire ". Notre interlocuteur affirme qu'il aurait souhaité voir un gouvernement de transition gérer l'élection présidentielle pour garantir la sincérité du vote. Mais ce ne fut pas le cas.

Que faire de Didier Ratsiraka ?

" Didier Ratsiraka mourra de sa belle mort ", souligne Manandafy. Il rappelle qu'il y a une théorie de l'OUA qui dit "il ne faut pas traumatiser un chef d'Etat qui sort ". Il faut, selon Manandafy "lui permettre une vie décente ". Et de conclure que " Ratsiraka sera un bon père de famille ".