Manandafy Rakotonirina
"Ratsiraka renie son passé"
Hier après-midi, entre deux réunions, Manandafy Rakotonirina, président
national du MFM, a accepté de nous recevoir pour donner ses impressions quant
à la conjoncture politique de l'heure, notamment après les multiples
interventions de l'amiral Didier Ratsiraka. Le chef du MFM était entouré, lors
de cet entretien, par Olivier Rakotovazaha et Jacques Aimé Raharinirina, ses
deux proches conseillers.
Cette fois-ci, il a eu des mots très durs à l'endroit du président de la République.
Interview.
• Considéré comme un des meneurs du mouvement de Mai-1972, vous avez été l’objet
de critique du président Didier Ratsiraka, vendredi dernier à Iavoloha, quand
il a évoqué l’échec de la malgachisation. Vous, les "gauchistes"
de l’époque, sont donc les premiers responsables de cette erreur…
- "Dire que nous, enseignants, ouvriers, étudiants, avions obligé les
tenants du régime de l’époque, composés à majorité d’officiers, à
suivre nos directives dans ce sens, est impensable. Je ne cache pas pourtant que
cela fait partie des revendications du mouvement Mai-72, mais une partie
seulement. Et c’est là que je trouve aberrante la justification historique de
Ratsiraka. Il feint de ne pas comprendre que Mai-72 fait suite au mouvement d’avril
1971 dans le Sud qui entrait dans la phase de la décolonisation. Pourquoi n’a-t-il
pas parlé des nationalisations, de nos relations avec les pays socialistes, de
la soviétisation avec ces envois massifs d’étudiants malgaches en Urss
?"
• D’après vous donc, le président voudrait changer la réalité historique
?
- "Ratsiraka se déjuge. En plus, il me paraît vouloir renier cette étape
de décolonisation. Ratsiraka veut-il faire table rase du passé ? Je ne pense
pas, puisque Mai-72 constitue le point de départ de sa propre carrière
politique."
• Le président a aussi dénoncé les mouvements populaires de 1972, 1991 et
de 2001. Il a parlé d’un dénominateur commun : le démon de la
déconstruction. Comme par hasard, vous êtes aussi un autre dénominateur
commun…
- "D’abord, pourquoi n’a-t-il pas cité 1996, lors du mouvement de
destitution du Pr. Zafy ? Ce qui prouve que Ratsiraka cite ces trois
événements, car cela tourne à son avantage. Là aussi, il espère manipuler l’histoire.
Dans tous les cas, ces mouvements ont eu lieu car il y avait un déficit
démocratique dans le pays. En 1991, la plate-forme de l’opposition avait
réclamé un an avant, une ouverture et une nouvelle constitution, mais
Ratsiraka s’entêtait... Aujourd’hui, au lieu de se pencher sérieusement
sur les problèmes de fond de la société, Ratsiraka dénigre les députés et
bafoue les libertés fondamentales".
• Mais ne voyez-vous pas que les avantages réclamés par les députés sont
si exorbitants ?
- "Ancien député, je sais de quoi je parle. Ce n’est si exorbitant que
vous le pensiez, si on veut vraiment un député indépendant et qui assume
réellement ses fonctions. Ce n’est en fait qu’une question de détail. L’essentiel
dans cette démarche est la peur du président au sujet du système
parlementariste. Ses diatribes contre la loi organique relative aux avantages
des députés, cachent mal sa volonté de dévaloriser et de dénigrer nos
élus. Sa stratégie passe par une démotivation progressive de ces derniers et
visant jusqu’à une démission de facto des députés. Par exemple, une Loi
des Finances adoptée après un report et en l’espace de 10 minutes seulement,
ce n’est pas sérieux. Et qui sait, demain il cherchera d’autres arguments
pour suspendre l’Assemblée nationale…"
• Le mouvement sur la Place du 13-Mai est-il pour la libération de
Voninahitsy Jean Eugène ou, comme le chef de l’Etat l’a dit une
manifestation en vue de sa destitution ?
- "Les opposants, et même des députés de la mouvance se sont empressés
de s’unir pour défendre le vice-président de l’Assemblée à cause de l’acharnement
politique contre quelqu’un qui osait dénonçer les magouilles de la famille
du président. Car, au vu des conditions de l’arrestation et du procès de
Voninahitsy, les principes fondamentaux des libertés n’ont pas été
respectés. Ratsiraka est anti-parlementariste et rêve d’un pouvoir personnel
fort. C’est surtout pour s’opposer à cette stratégie glissant vers une
dictature personnelle qu’on se mobilise sur la Place du 13-Mai".
• Le président vous accuse de ne pas jouer le jeu de la démocratie…
- "C’est plutôt lui, Didier Ratsiraka, qui ne supporte pas la
démocratie ! Je le connais bien. Si les députés de la Cellule de crise
avaient libre accès à la radio nationale après la condamnation de Voninahitsy,
et si les hauts responsables des médias publics ont laissé ses journalistes
relater en toute liberté ces manifestations, l’opposition n’aurait pas
boudé cette émission radio-télévisée "Aboahy akaiky"."
• Pourquoi ne pas attendre les élections présidentielles ? Celles-ci auront
lieu normalement à la fin de cette année, et le chef de l’Etat pense que
vous avez peur de ce scrutin…
- "C’est le président Ratsiraka qui a avancé cela. Nous, chefs de
parti, avec les membres de la Cellule de crise, nous n’avons pas encore
débattu sur cette échéance électorale. En tout cas, si le chef de l’Etat
est réellement démocrate, qu’il cesse d’abord ses arrogances, qu’il
revoie la proposition du FFKM sur le Code Electoral et les remarques de "Safidy",
qu’il laisse s’exprimer librement les citoyens et députés, et surtout qu’il
mette un terme à favoriser l’impunité dans son entourage. Tant qu’il ne
procède pas à des réformes, il n’y aura pas de stabilité et de
développement économique".
• Mais il y a une hausse de taux de croissance économique ...
- "Tous ces chiffres macro-économiques n’ont pas de conséquences
palpables pour les citoyens. La surmédiatisation de ces performances n’est qu’un
moyen, pour le président et le Premier ministre, de dévier le fond des
problèmes de ce pays".
• Ce mouvement sur la Place du 13 Mai durera jusqu’à quand ?
- "Cela ne dépend pas seulement de nous ! Mais je peux vous dire que le
mouvement commence à faire tâche d’huile dans les autres régions".
• Que pensez-vous des rumeurs d’arrestations de quelques députés dont le
MFM, Pety Rakotoniaina ?
- "Je ne crois pas que le gouvernement ose arrêter ce député. Si ce sera
le cas, ce serait de la provocation…"
Recueillis par James R