Mercredi 02 janvier 2002
Communiqué de Marc Ravalomanana
Il s'agit ici du texte complet, une version courte
va paraître dans la Tribune du journal Le Monde
Lettre ouverte
à l'opinion et aux autorités publiques françaises et européennes :
Pour la dignité de Madagascar !
Tribune de Marc RAVALOMANANA
Maire d'Antananarivo
Candidat à la Présidence de la République de Madagascar
J'ai passé les fêtes de fin d'année en France pour me détacher de la
pression inhérente à une situation politique aussi périlleuse et instable que
celle de cette période de dépouillement des élections présidentielles
malgaches.
J'ai saisi cette occasion pour informer et "
interpeller " l'opinion et les autorités publiques françaises sur la réalité
de la situation de Madagascar.
J'ai voulu interpeller la France et l'Union européenne pour sortir de la
pesante indifférence à l'égard de ce qui se déroule réellement dans mon
pays.
Madagascar a pourtant été, et doit redevenir, un véritable exemple en matière
de coopération entre la France, l'Europe et les pays du tiers-monde.
Cette interpellation n'est pas un appel à une nouvelle
forme d'ingérence dans les " affaires " et les " choix "
d'un pays souverain.
J'assume actuellement la " bonne gouvernance " de la Capitale de mon
pays et j'ai été appelé, par la majorité du peuple malgache, à devenir le
garant de notre souveraineté et de notre union nationale.
Aussi je suis, et resterai particulièrement exigeant pour que nul n'ait à
commettre une ingérence dans les choix démocratiques de mon peuple. Il y va du
respect mutuel entre nos États dans le cadre du droit international.
Cette interpellation n'est pas non plus une demande de
soutien venant de l'étranger à ma candidature à la magistrature suprême de
mon pays.
C'est aux Malgaches, et à eux seuls, que revient le choix de celui qui peut
porter le redressement du pays et doit incarner l'aspiration de la majorité des
citoyens à un véritable changement, une alternative politique, après 30 ans
d'exercice du pouvoir des actuels dirigeants, qui ont plongé le peuple malgache
dans la misère que je ne peux que déplorer. Car je le déplore, Madagascar,
malgré un potentiel en savoir-faire reconnu et une richesse en ressources avérée
est aujourd'hui relégué au rang des pays les moins développés sinon de pays
le plus pauvre.
J'invite tout simplement l'opinion et les autorités publiques françaises à ne
pas relayer, comme j'ai pu le voir et le lire dernièrement, les fausses
informations qui valident la falsification des résultats du 1er tour des élections
présidentielles dans mon pays et qui habillent la vaste supercherie préméditée
par un pouvoir politique à l'agonie à Madagascar.
Mais le respect de la souveraineté et du choix des orientations politiques d'un peuple ne subodorent pas l'absence d'attention eu égard aux liens historiques entre nos peuples et de responsabilités au regard de la nécessaire défense des valeurs partagées par nos Nations.
La première de ces valeurs est la préservation de la paix
civile.
C'est une exigence commune qui mériterait un soutien clair de toute les démocrates,
et plus particulièrement des républicains français. Lorsque cette paix
publique est menacée par des dirigeants qui devraient en assurer la garantie,
je ne puis qu'interpeller l'opinion et les autorités publiques du monde démocratique
pour prêter une toute autre attention à la situation qui se prépare dans mon
pays.
Malheureusement, Madagascar, n'a pas, comme d'autres pays, " pu bénéficier " d'un grand " intérêt " des pouvoirs et des médias occidentaux.
Les Malgaches souffrent en effet de leur réputation de
placidité ou de résignation face à l'adversité.
Aussi, vu de l'extérieur, les Malgaches semblent vivre dans une telle
indolence, que les menaces qui pèseraient sur la paix civile à Madagascar sont
vite rangées dans les informations saugrenues.
Le pouvoir en place, qui souhaitent faire perdurer le désintérêt qui pèse
sur la situation de mon pays, a d'ailleurs habilement réussi à endormir
l'opinion et les autorités publiques internationales par un processus électoral
pourvu d'une façade démocratique.
L'organisation du 2ème tour, avec un Président sortant qui arrive en deuxième position lors du 1er tour, permet au régime en place de plaider sa bonne foi de démocrate surtout en comparaison à certains votes plébiscites dont certains États africains sont coutumiers. Cette régularité d'apparence devient alors un obstacle pour ceux qui, comme moi, revendiquent une véritable transparence du processus électoral. Elle réduit les motifs qui justifient une véritable observation extérieure et permet au régime d'éviter une déroute électorale dès le 1er tour.
La France, en particulier, semble ne pas vouloir porter une attention particulière sur un processus électoral qui se déroule dans cette apparente régularité. Et cette indifférence finit par s'apparenter à une reconnaissance, voire un soutien, implicite aux manœuvres et aux manipulations des votes commises par le pouvoir en place.
Ce n'est pas seulement l'expression démocratique de la
majorité des Malgaches qui est ainsi mise en cause par ce " hold-up électoral
" qui permettrait à l'Amiral Ratsiraka de ne pas reconnaître sa défaite
dès le 1er tour. C'est aussi la détermination de tout un peuple à rompre avec
ce régime qui est en passe d'être outragée et rejetée par cet éventuel 2ème
tour.
Tout laisse à penser, je le répète, que la fraude qui aurait été tolérée
au 1er tour sera commise à une tout autre échelle dans un 2ème tour
putatif… sauf si la communauté internationale s'en saisit, en ne restant ni
passive, ni permissive.
Cet " outrage à la démocratie " ne peut malheureusement que provoquer la déferlante d'exaspération populaire qui se dessine. Et le pouvoir autour de l'Amiral ne manquera pas alors de réprimer, comme à son habitude, ce probable soulèvement populaire, sous couvert de maintien de l'ordre ou de situation d'exception…sauf si les nations démocratiques ne le cautionnent pas par cette indifférence qu'il sait transformer en soutien implicite.
Mais je ne souhaite évidemment pas une issue qui serait fatale pour mon pays et qui serait tout aussi dévastatrice pour la quiétude de cette région du monde.
C'est pour cela que j'exhorte une fois de plus mon peuple à ne pas sombrer dans la confrontation violente et à ne surtout pas céder à la provocation du pouvoir en place. Cette provocation prend la forme d'un retour à la barbarie tribale d'un autre temps que le régime de l'Amiral sait attiser à chaque fois qu'il est en difficulté.
C'est pour cela que j'invite la France et l'Union européenne à contribuer à éviter, par anticipation, cette menace et cette provocation entretenues par certains tenants du Président sortant.
J'avais, pour éviter cette situation, espéré que le
pouvoir en place admette l'existence d'un organisme autonome de contrôle de ces
élections présidentielles.
J'ai donc accepté d'emblée la mise en place du " Consortium d'observation
des élections présidentielles ", regroupant des autorités morales de
Madagascar telle la Fédération des Églises de Madagascar ainsi que certaines
organisations de la société civile comme le " Conseil national
d'Observation des Élections ". Je pensais alors que cette précaution
pouvait suffire.
Mais le pouvoir refuse aujourd'hui que ce " Consortium " puisse faire valoir une comptabilisation des votes et une confrontation des procès-verbaux, indépendantes du pouvoir et des candidats, avant que les institutions régulières de proclamation, en particulier la Haute cour constitutionnelle, ne se saisissent et n'annoncent des résultats officiels.
Au contraire l'Amiral s'est acharné à tordre la constitution pour s'assurer la soumission de ces institutions régulières en particulier en renouvelant juste avant les élections les membres de la Haute Cour Constitutionnelle.
Aujourd'hui le pouvoir en place se refuse de tenir compte du travail de ce " Consortium " et compte pousser à la proclamation précipiter des résultats sans vérification de l'authenticité des procès verbaux et sans contrôle de la conformité des résultats recensés avec ces mêmes procès verbaux. Mais je ne veux pas énumérer, pour ne pas ridiculiser les institutions régulières de mon pays, toutes les manipulations, les forfaitures et les exactions qui entourent ce dépouillement.
Je veux simplement proposer que tous les moyens soient mis en œuvre pour que ce décompte des votes se fasse en toute transparence et avec le concours de représentants de la communauté démocratique internationale.
Mais, jusqu'alors, la France et l'union européenne n'ont pas voulu donné suite à cette requête. Cette sollicitation que je l'avais pourtant faite aux autorités françaises lors de mon dernier déplacement en France et notifiée à l'Ambassadeur de l'Union européenne, bien avant les élections.
De plus la communauté internationale n'a pas voulu réagir lorsque le régime en place, sous couvert du principe de non ingérence dans les affaires internes d'un Etat, a repoussé toute observation étrangère. Ainsi il a entrepris de transfigurer les résultats électoraux et surtout, de faire peser, sans témoin extérieur une réelle menace sur la paix civile.
Pour ma part, je ne considère pas comme étant une ingérence dans les affaires internes d'un pays, ou une atteinte au principe de la souveraineté nationale d'un État de permettre l'expression démocratique et de garantir la sécurité d'un peuple.
Il s'agit simplement de contribuer à combattre toutes les
formes de totalitarisme.
Ce sont ces totalitarismes qui génèrent non seulement les atteintes à la sécurité
et la liberté des citoyens, mais remettent aussi en cause la capacité
d'entreprendre, de penser et, malheureusement dans certains pays, d'exister des
personnes.
Je le répète, je ne suis pas de ceux qui quémandent une quelconque intervention en ma faveur ou aide politique partisane.
J'ai juste l'ambition d'amener mon pays et mon peuple à vivre en sécurité et à participer aux enjeux où ne comptent que les nations capables d'assurer des relations transparentes avec tous ses partenaires ainsi qu'une solidarité normalisée avec toutes les nations démocratiques.
Garantir toutes ces sécurités, dans un État sous-développé
passe d'abord par cette urgence de préservation de la paix civile.
Et cette urgence nécessite que le processus démocratique, enclenché par l'adhésion
d'une majorité de Malgaches, aille à son terme.
Le résultat officiel de ces élections présidentielles doit donc être
conforme à la réalité des votes !
La préservation de la paix, la régularité du fonctionnement des institutions et la crédibilité durable des autorités publiques ne peuvent exister que par le respect et la garantie de l'expression démocratique.
Il s'agit pour moi d'instaurer une véritable sécurité
des institutions républicaines et démocratiques pour que les Malgaches réinvestissent
leur confiance dans les lois de leur pays.
Cette stabilité des institutions, et celle de l'appareil juridique qu'elle
induit, incitera non seulement les Malgaches à entreprendre mais garantira
aussi la sérénité des initiatives privées et des investissements étrangers.
J'ai la conviction que lorsque les institutions et l'expression démocratiques seront sécurisées, que lorsque les lois fiscales et les juridictions de référence ne fluctueront plus au gré de l'arbitraire du régime, ce sont les échanges, les entreprises et les investissements privés et publics qui se libèreront en toute tranquillité. Les activités se normaliseront alors avec des règles transparentes, claires et durables.
Cette conviction ne vise pas simplement à réamorcer
l'activité économique dans mon pays.
Elle cherche surtout à recouvrer les liens traditionnels de solidarité et de
partage qui ont été rompus par une misère entretenue et des injustices
sociales dévastatrices. La République Malgache telle que je la conçois, saura
allier la stabilité de son organisation administrative, la fiabilité de ses
circuits publics et la sécurisation des initiatives privées.
Mais je n'avais pas l'intention de détailler dans cette
tribune mon projet et le " Contrat de bonne gouvernance " de mon pays
que j'ai soumis au peuple malgache.
Je voulais juste " interpeller " les autorités et l'opinion publiques
internationales, et plus particulièrement françaises, pour qu'elles se
saisissent de l'urgence de la situation politique de mon pays.
J'ai, au travers des discussions que j'ai eues avec les différentes autorités de la vie politique, publique et économique en France, suggéré quelques pistes pour assurer cette action, sans, je le répète, remettre en cause le respect mutuel de nos souverainetés et nos libertés.
Le premier élément de cette action peut prendre la forme
d'une délégation parlementaire, dépêchée en observation du dépouillement
des élections présidentielles malgaches du 16 décembre dernier.
Elle devrait être dépêchée d'urgence en soutien, et en garantie, des travaux
du " Consortium " indépendant d'observation de ces élections et de
la Haute Cour Constitutionnelle malgache avant que cette dernière instance, se
trouve, pressée par le pouvoir, dans l'obligation de proclamer de faux résultats.
Cette démarche devrait être mise en œuvre dans les prochains jours c'est-à-dire
avent le 7 Janvier, date probable de la saisine de la Haute Cour
Constitutionnelle.
J'ai, comme je l'ai dit, compté sur le respect de l'autorité morale que représentent
les organismes, confessionnels et œcuméniques comme civils, qui constituent le
" Consortium d'Observation ". Mais dépêcher une délégation
parlementaire française ne peut que rasséréner les institutions républicaines
et conforter la crédibilité d'un processus démocratique.
Le deuxième volet de cette action peut s'exprimer au
travers d'une mise en garde publique, officielle et explicite vers le pouvoir
actuel pour faire cesser le détournement du vote de la majorité du peuple
malgache à son profit.
Cette mise en garde vaudra aussi pour toute tentation de préparer ou brandir
une menace de la sécurité de la région et de la paix civile du pays.
Cette mise ne garde doit, et ne peut être effectuée, que si les hautes autorités
françaises sortent de ce qui est aujourd'hui perçu comme une " caution
par l'indifférence ". Cette pesante neutralité profite en effet au régime
de l'Amiral qui en use et en abuse pour mener impunément toutes ses
manipulations électorales.
La troisième forme de cette action peut, se traduire par
une intervention diplomatique pour, qu'au nom d'une majorité effective de
citoyens de mon pays, je puisse inviter l'Amiral Didier Ratsiraka à ce
qu'ensemble, nous préservions la dignité de la fonction présidentielle, la
stabilité de nos institutions républicaines et la sécurité de tous nos
concitoyens et par là même la considération de nos partenaires
internationaux.
Cette démarche permettrait, s'il le souhaite, au Président sortant de
contribuer à l'instauration dans notre pays des usages des pays démocratiques
et des discussions fraternelles plus conformes d'ailleurs à nos traditions
ancestrales et à ce qui devrait être notre devoir commun d'Hommes d'Etat.
Ces propos contribueront, je l'espère, à convaincre les autorités publiques
françaises de lever cette forme de neutralité excessivement apaisée qui pèse
depuis longtemps sur les relations entre nos pays.
J'ai, par ma candidature à la Présidence de la République malgache, sur laquelle s'est portée une majorité de suffrage dès le 1er tour, voulu contribuer à une autre conception de la pratique politique dans mon pays et par la même occasion ouvrir une autre ère de solidarité entre nos deux pays.
En répondant favorablement à cette sollicitation, la France et la communauté européenne, contribueront à promouvoir une nouvelle perception de la réalité des aspirations des peuples du tiers-monde en matière de démocratie, empêcheront un hold-up électoral à Madagascar et préserveront avec nous la paix civile dans ce pays.
Au début de ce 3ème millénaire, à l'heure où le monde se recompose, où les valeurs démocratiques et républicaines sont battues en brèche par de nouveaux totalitarismes, je ne puis supporter que mon pays et mon peuple restent à l'écart de la dignité.
Marc RAVALOMANANA