COMMUNIQUÉ (18 JANVIER 2001)
Affaire « Jean Eugène Voninahitsy »
Pour y voir un peu plus clair…
Un Vice-Président de l'Assemblée nationale de Madagascar (Jean Eugène Voninahitsy) est arrêté et emprisonné pour avoir, d'une part, tenu des propos jugés outrageux contre le Président de la république et, d'autre part, pour avoir émis un ou des chèque(s) sans provision. Le cas de flagrant délit et le cas de condamnation définitive semblent être les deux facteurs décisifs sur lesquels la poursuite s’est basée.
Tous les députés de l’Assemblée nationale de Madagascar toute tendance confondue ont d’abord protesté contre l’arrestation de leur Vice-Président, mais les députés du parti au pouvoir (Arema) se sont ensuite tous ravisés à la suite de la divulgation de l’autre motif de l’arrestation, c’est-à-dire, le(s) chèque(s) sans provision.
Le Président de la république a déclaré à plusieurs reprises maintenant qu’il n’a pas porté plainte contre Jean Eugène Voninahitsy pour le cas de propos outrageux et la justice a fait son travail pour le cas de chèque(s) sans provision.
Le Vice-Président de l’Assemblée nationale a déclaré avoir émis des chèques sans provision, mais a fait remarquer qu’il n’est pas le seul à agir ainsi et se demande pourquoi s’acharne-t-on sur lui et non sur les autres.
L'opposition dirigée par une cellule de crise au sein de l’Assemblée nationale invoque la violation de l'immunité parlementaire et amène le peuple à manifester dans la rue pour défendre les acquis de la démocratie et la liberté d’expression. Explicitement, elle veut réclamer par cette action, primo, la séparation réelle des pouvoirs et secundo, la fin d'un pouvoir discrétionnaire.
L'immunité parlementaire est en effet une des garanties de la séparation
des pouvoirs à l’intérieur d’une démocratie. Elle est destinée à
protéger le mandat électif du député qui ne peut être poursuivi ou privé
de liberté à cause des opinions et votes au nom de son corps électoral qu'il
exprime dans l'exercice de ses fonctions. Il ne s'agit en aucun cas de protéger
le député mais son mandat électif. Un député est donc, à l'égal de tout
citoyen, passible de justice en cas de délit ou crime commis par sa personne
avant ou pendant son mandat électif. Vu de cet angle, l’arrestation de Jean
Eugène Voninahitsy peut représenter le déroulement normal du cours de la
justice. Mais il y avait l’inhabituelle célérité du tribunal à boucler
tout le dossier en un peu plus de 2 semaines suivant l’arrestation de Jean
Eugène Voninahitsy et le cas d’outrage au Président de la république.
En l'espèce, l’outrage au Président de la république est un délit car il
faut aussi préserver une institution et une fonction constitutive de la
démocratie. Le problème est de savoir s'il y a vraiment eu outrage ou non.
Qui est compétent pour qualifier les propos d’outrageux?
L’appréciation est-elle laissée au seul intéressé (Didier Ratsiraka) qui peut ainsi (à tort ou à raison) prendre toute critique à son égard comme outrageuse?
Dans ce cas, l'autorité judiciaire qui réclame à cor et à cri son
indépendance dans cette affaire ferait bien de prouver pour une fois et
au-delà de tout doute qu'elle n'est pas à la botte d'un seul homme ou d’un
seul régime. Il faut pour cela qu'elle prouve sur le plan du principe de la loi
qu'elle a suivi toutes les procédures légales prévues par cette loi et que
c'est elle (l’autorité judiciaire) et elle seule qui a arrêté la
qualification d'outrageux des propos de Voninahitsy. Si la compétence relevait
de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), les exigences seraient les mêmes.
L'immunité peut-être levée s’il s’agit d’un cas de flagrant délit ou si le député est condamné de façon définitive par un tribunal.
Il ne suffit pas de dire qu'il y a eu émission de chèque sans provision pour condamner une personne car les pratiques bancaires modernes permettent souvent d'émettre des chèques en anticipation de dépot réel sur le compte à tirer.
Est qualifié de chèque sans provision tout chèque émis à une date où il n'y a pas de montant de dépôt équivalent sur le compte. Un accord verbal du banquier ne peut l'engager.
Il est donc nécessaire que le cas de flagrant délit soit prouvé ou que la condamnation soit définitive, c'est-à-dire, jusqu’à épuisement de tous les recours juridiques et judiciaires possibles (l'appel, la cassation, etc). Ces recours sont très importants car les conséquences sont graves étant donné qu'elles affectent un principe constitutionnel.
Il ne faut pas non plus perdre de vue plus que ce type de litige a pour origine un différend d'ordre privé, le banquier et le créancier contre le débiteur, que le ministère public a probablement qualifié d'atteinte à l'ordre public. En tout état de cause, l'émission d'un chèque sans provision relève le plus souvent du pénal que du criminel.
En ce qui concerne la procédure, quelle qu'en soit le cas, le bureau de
l'Assemblée nationale doit donner son accord sur la demande des autorités
compétentes pour toute décision privative de liberté concernant un député.
Le bureau de l’Assemblée nationale n'a aucune raison de s'y opposer si les
conditions d'établissement des motifs sont celles qui sont prescrits par les
lois dans le fond et dans la forme. Si le bureau en question n'a pas été
consulté ou que les autorités compétentes sont passées outre sa volonté ou
encore s'il a donné son accord à la légère, les parlementaires de Madagascar
feraient bien de se pencher sur les raisons de leur
« insignifiance » au sein du système d’État.
D’une part, il semble que les motifs de la levée de l'immunité
parlementaire et de l'incarcération de Voninahitsy ne sont pas clairement et
définitivement établis. D’autre part, les procédures prévues par la loi
semblent n’avoir pas été respectées.
Pourquoi une telle méconnaissance du droit de la part du Président de la
république et ce semblant de flou légal de la part de l’autorité
judiciaire? Tout simplement parce que rien, absolument rien ne peut les en
empêcher d’agir ainsi. Dans le cas de Jean Eugène Voninahitsy, la poursuite
a-t-elle bien tenu compte de la présomption d’innocence de tout accusé jusqu’à
preuve de la culpabilité définitive et de l’épuisement de tout recours
légal possible? Il est important de souligner que tout exercice du pouvoir a
pour socle une légitimité, que ce soit pour le Législatif, le Judiciaire ou
l'Exécutif. En vertu du principe selon lequel, toute personne détentrice du
pouvoir a tendance à en abuser en l’absence de vraies balises, les trois
institutions sont destinées à se neutraliser mutuellement. Qu'il y ait
faiblesse de la part de l'une d'entre elles et le régime en vigueur est
déséquilibré avec ce que cela suppose d’atteinte à l’exercice de la
démocratie et de la liberté d’expression.
Or, la légitimité perd de son essence lorsqu'une institution ne fait pas son
devoir et ne tient pas son rôle dans la société. Qu'est ce qu'une institution
qui n'est pas capable de réaliser ce que la société et le peuple en tant que
corps politique attendent d'elle? L’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire
ont-ils encore la légitimité requise? Voilà une question qui mérite qu’on
y réfléchisse d’une manière approfondie et suivie.
Le Législatif n'a cessé de décevoir le peuple en abusant de son indépendance
pour s'attribuer des privilèges jugés (à tort ou à raison) exorbitants par
rapport à la situation de son corps électoral. De plus, au lieu de s'attacher
à proposer et voter les « bonnes » lois pour résoudre les vrais
problèmes de l’heure, le Législatif a été plus souvent qu’autrement le
théâtre de manoeuvres politiciennes des plus nauséabondes.
Le Judiciaire ne se porte pas non plus mieux. Prompt à se mettre en grève pour
réclamer son indépendance et ses privilèges en mettant les usagers dans des
situations parfois difficiles, il semble incapable de discerner les moments
importants de la vie politique de la Nation pour imprimer sa marque et affirmer
son rôle de garant de l’application des principes des lois (l'ordre
juridique). À titre de référence, on peut citer les résultats électoraux
litigieux validés au mépris de l'évidence aux silences coupables, voire
complices lorsque le droit et le principe de la loi sont bafoués. Ceux que le
Judiciaire semble avoir toujours favorisé, en pensant au mieux monnayer leur
assentiment, se servent du Judiciaire quand cela les arrange et l'écrasent
lorsqu’il les gêne. Dans l’affaire Jean Eugène Voninahitsy, le Judiciaire
n’a pas su éviter la perception par l’opinion publique d’irrégularités
au niveau des procédures.
L'Exécutif a la particularité de détenir les instruments de la coercition,
c'est à dire les moyens de la violence « légitime » dont le
monopole est attribué à l'Etat. Sa bonne utilisation nécessite le contrôle
des deux autres pouvoirs donc de leur bon fonctionnement. À Madagascar, le
manque de légitimité de l’Exécutif ne se mesure généralement qu'à
travers l'intensité de la réaction populaire dans la rue. Lorsque la
population ne s'expime plus par les urnes mais dans la rue et parvient à
ébranler l'Exécutif c'est que l’exercice de la démocratie par la liberté d’expression
a déjà largement souffert. Au bout du compte, tout le monde perd dans une
telle démarche.
L'opposition, y a-t-il vraiment une? En vérité, il n'y a qu'un assemblage de
groupuscules concassés qui ne se positionnent généralement qu'en fonction de
leurs intérêts les plus proches et de la possibilité d’arriver au pouvoir
suprême sans passer par la voie des urnes. De temps en temps, l'histoire
donnent aux groupuscules d’opposants une occasion de converger vers une seule
voie mais c’est par pur hasard ou maladresse, voire par pure manoeuvre du
régime à qui ils sont supposés s'opposer et questionner.
Par définition, l'opposition n'a de pouvoir qu'à travers l’Assemblée
nationale. Elle dépend donc de la situation de cette dernière. Cependant, l’Assemblée
nationale de Madagascar a actuellement une légitimité bien mal en point et que
les députés et anciens députés qui se désignent comme membres de
l'opposition (laquelle?) ne sont pas étrangers à la situation dans laquelle se
débat cette institution. En choississant de porter les problèmes dans la rue,
l'opposition a scié la branche sur laquelle elle était assise avec tout ce que
cela comporte de dangers dans l’exercice de la démocratie et de la liberté d’expression.
Mis à part le pouvoir par sa représentation réelle au sein de l’Assemblée
nationale, l'opposition, en théorie, a un moyen d'action politique par l’« autorité »
de pouvoir faire ressentir comme une faute dans l’exercice démocratique le
fait pour l’Exécutif de ne pas suivre l'avis et l'opinion d'une personne ou
d'un groupe reconnu comme ayant l’« autorité » légale de s’exprimer
au sein de l’Assemblée nationale. Or, les groupuscules au sein de
l'opposition n’utilise pas cette autorité. Aux yeux du peuple, l’opposition
n'a rien fondé sur la durée, n'a pas participé au développement des
fondements de la cité à défaut de l'avoir fondé, il peut même être posé
la question de savoir si elle a veillé à préserver ce que les
« ancêtres » ont fondé et si elle n’a pas parfois contribué à
détruire ou à diminuer ce qu’on peut appeler de patrimoine national avec ses
actions réactionnaires. C’est une perception qui n’est pas facile à
corriger.
Le mot « autorité » vient du latin « augere » qui
signifie augmenter. Le peuple ne reconnaît l'autorité qu'à ceux qu'il croit
être un fondateur de la cité et à ceux qui ont préservé ou augmenté ses
fondations. Fonder la cité, augmenter les fondations ou les préserver, c'est
instaurer une morale en politique en énonçant les principes et l’éthique
ainsi qu’en montrant l'exemple. Cela peut être également concevoir une
vision de la société en bonne santé, dégager les idées qui s'y
rattachent de façon cohérente, déterminer les moyens d'action et avoir le
courage de se les donner pour réaliser les objectifs et de s'y tenir. Le peuple
a besoin de signaux clairs pour se repérer. Il y a énormément d'exemples pour
peu que l'on laisse courir l'imagination. Le tout est d'avoir le courage d'aller
jusqu'au bout de ses convictions sans céder à l'opportunisme, la facilité et
la démagogie. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas actuellement. Les
signaux sont extrêmement confus.
Notre opinion est la suivante :
Que des hommes réagissent par des actions politiques ou citoyennes pour préserver les faibles acquis de la démocratie et de la liberté d’expression à Madagascar, nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais nous aimerions qu'ils le fassent sur une base durable et de manière constructive, pour qu’on puisse savoir exactement ce qu'ils veulent.
Nous aimerions savoir quelles sont leurs idées et que leurs comportements politiques et sociaux s'y conforment.
Nous voyons un homme de la mouvance présidentielle, Vice-Président de l’Assemblée nationale de Madagascar de surcroît, se faire mettre en prison de manière perçue comme abusive.
L’exercice de la démocratie par la liberté d’expression, l'État de droit et l’État de justice semblent menacés.
Le Vice-Président de l’Assemblée nationale de Madagascar est-il vraiment une victime de son opinion ou juste un instrument permettant d’abattre les institutions gênantes dans un jeu
défini à l'avance?Nous voyons des opposants qui, hier encore, ont profité de leurs ambiguités et de leur compromissions sans état d’âme avec le régime au pouvoir.
Nous voyons d'autres qui, espérant tirer leur épingles du jeu des élections provinciales du 3 décembre 2000, ont perdu leurs illusions et se sont rangés opportunément du coté des opposants comme si, par enchantement, ils ont découvert que le régime qu'ils ont directement ou indirectement soutenu sans état d’âme en le légitimant par sa Constitution et en participant aux élections au lieu de s'y opposer, est parfaitement insouciant du respect de la démocratie, de la liberté d’expression et du droit de la personne.
Le peuple exaspéré peut se révolter (ou incité à le faire) et obtenir par la force ce que le droit et la loi n'ont pas su leur donner. En tout état de cause, ce ne sera pas à l'honneur des hommes politiques qui, de compromissions en compromissions, n'ont plus d'autres issues que de se faire pousser par un peuple dont ils auraient dû être les guides et défenseurs.
Nous souhaitons quand même beaucoup de courage à ceux qui agissent sincèrement et nous souhaitons qu'ils réussiront à préserver l’exercice de la démocratie par la liberté d’expression et consolider l'Etat de droit et de justice ainsi que la responsabilité sociale des gouvernants.
Nous avons du mal cependant à trouver des noms fiables. Nous souhaitons qu'ils se fassent mieux connaître au niveau des vraies idées qui les animent.
Pour revenir au cas « Voninahitsy », s'il y a eu acte passible de peine ou délit flagrant, l'autorisation du bureau permanent de l’Assemblée nationale de Madagascar n'est pas réquise. Cette autorisation n’est pas non plus requise en cas de condamnation définitive. Tout cela demeure flou sur le plan du principe de la loi.
Nous ne pensons pas que le motif du chèque sans provision puisse être qualifié de flagrant délit. Ce serait surprenant. C'est plutôt la condamnation définitive que les initiateurs de l’affaire "Voninahitsy" ont recherchée, mais il reste la question de savoir si la totalité des voies de recours normales dans une telle affaire aient été épuisée? Ce qui revient à dire que la condamnation n’est pas encore définitive.
Le motif des propos outrageux peut être un cas de flagrant délit, mais il aurait fallu que ce soit au moment où Jean Eugène Voninahitsy les profèrait, qu'il n'y ait aucune ambiguité et qu'une personne habilitée (en vertu de quel mandat?) procède tout de suite à l'arrestation. Si c'est une semaine après, il nous semble que ce n'est plus un flagrant délit. C’est, disons, un cas assez compliqué parce que ce type d’accusation et d'arrestation n'est pas courant de nos jours et un Procureur n'est pas forcément dépourvu de créativité qui peut l'amener à avoir une interprétation large du principe des textes de loi.
Tout cela semble encore trop flou pour provoquer autant de désordre et remettre en question un principe constitutionnel ayant été avalisé par les urnes.
Nous suggérons une étude approfondie et impartiale du procès de Jean Eugène Voninahitsy pour apporter plus de clarté dans cette affaire sur le plan du principe des lois ainsi que de son application.
Nous suggérons également l’instauration d’une manière transparente, franche et sincère de processus de dialogue et d’échange par le régime en place. C’est la seule voie possible pour vraiment remettre le pays au travail de reconstruction grandement nécessaire.
Nous suggérons également la transformation de l’opposition en institution formelle ayant des devoirs, des responsabilités et des privilèges au même titre que le Sénat, l’Assemblée nationale, la Présidence, le Gouvernement, l’Autorité judiciaire et les municipalités.
Au nom du futur groupe « En route vers 2007 » :
Fanantenandrainy Ratsimbazafy
Paul Nahoaniko
Jean Razafindambo
Marcellin Razafindrabe