MADAGASCAR (1960-1990) - CONSTITUTIONS ET IDEOLOGIES

 Exposé du Pr. CADOUX

Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs. permettez-moi tout d’abord de vous saluer et de vous dire que Je suis très heureux de me trouver, en cette soirée du 10 Mai 1990. dans l’amphithéâtre Turgot de la Sorbonne, et devant un auditoire malgache-français, pour parler de Madagascar!

Je dois ce privilège à l’invitation de l’association Madagascar Forum. A travers son président, ici à mes côtés, J’adresse mes remerciements à toute l’équipe qui anime ce Forum. Quand on a pratiqué un peu le «système associatif’ on sait, par expérience, le mérite des animateurs bénévoles qui font le succès de ces réunions. Votre présence ce soir, nombreuse. témoigne de l’intérêt et de l’estime que vous portez à Madagascar Forum. Je suis le premier à m’en réjouir.

Cela étant, et pour «légitimer» en quelque sorte l’invitation qui m’a été si aimablement adressée, je me permets de rappeler que je ne suis qu’un «Vazaha» qui a vécu à Madagascar et qui (comme presque tous les Vazaha) n’a jamais cessé de s’intéresser au pays (Dago); que je suis professeur des Facultés de Droit, spécialisé en Droit Constitutionnel et en Droit International Public; et qu’enfin et surtout j’ai enseigné ces matières à l’Université de Madagascar de 1963 à 1974 (j’ai même été ‘Doyen’ de la Faculté de Droit de 1967 à 1973 ! et je retrouve ici, ce soir, à mes cotes et toujours plus jeune, après bientôt trente ans. M. Francisque Ravony qui fut mon étudiant en 1ère année de Droit, à Befelatanana en 1962-1963 ! !...); Et comme depuis 1974 j’ai eu l’occasion (la chance) de retourner chaque année à Madagascar pour un séjour universitaire plus ou moins long. je suis naturellement resté en prise avec les problèmes constitutionnels et politiques du pays.

C’est donc avec émotion, et une inévitable part de subjectivité, que je vais tenter de retracer le parcours constitutionnel et idéologique de Madagascar depuis l’indépendance (1960), afin d’ouvrir le débat sur la situation actuelle et plus particulièrement -sous la direction de Me Francisque Ravony- sur la discussion du projet de Constitution élaboré par le parti MFM.

Avant d’esquisser ce panorama je crois utile de rappeler à l’intention surtout de celles et ceux qui n’ont jamais «fait» de droit -et sans vouloir pour ma part «faire» un cours de droit constitutionnel - deux ou trois points qui me semblent politiquement et sociologiquement importants.

Dans tous les Etats contemporains, l’adoption d’une Constitution constitue un moment politique très important. Une Constitution a d’abord et avant tout valeur juridique:

c’est la Norme (règle) Fondamentale, celle qui détermine en principe «l’Etat de droit». Elle a valeur symbolique et idéologique: c’est par sa Constitution qu’un Etat souverain affirme son existence sur le plan international et proclame son attachement à telle ou telle idéologie (la lecture des «préambules » est souvent très suggestive sur ce plan). Elle a enfin valeur politique (au sens du grec politis, la Cité) dans la mesure où elle est l’expression d’un projet de société ou, si l’on préfère d’un Contrat Social qui s’organise autour d’institutions gouvernementales (Pouvoir Exécutif, Législatif, Judiciaire) plus ou moins sophistiquées.

D’où l’importance de l’acte-fondateur de la Constitution (par une Assemblée Constituante ou autre procédure référendaire) et l’importance aussi de l’acte-modificateur de la Constitution (la procédure de révision). Chaque fois qu’un Etat procède à l’établissement, ou à la révision de sa Constitution (pour peu que la révision porte sur des points importants), il entre en période de haute tension politique puisque c’est le Contrat Social qui est enjeu.

Madagascar connaît. à nouveau ce type de tension politique. La Grande Ile célèbre pratiquement ses trente ans d’Etat indépendant au moment où, à travers le monde, à l’Est comme au Sud, on refait «son» droit constitutionnel. La production de nouvelles Constitutions ou de révisions constitutionnelles approfondies n’a jamais été, depuis l’automne de l’année 1989, aussi.., prolifique. S’agissant des trente années écoulées de la République Malgache. on peut distinguer. en vue d’un panorama constitutionnel, quatre périodes. celle de la 1ère République (1960-1972); celle de la période officiellement provisoire (1972-1975); celle de la République Démocratique de Madagascar (RDM) de 1975-1990; et enfin, la toute nouvelle période politique f1990...) orientée d’ores et déjà vers la prospective d’une... Troisième République Malgache.

 

 

1- PREMIERE PERIODE:

LA (PREMIERE) REPUBLIQUE MALGACHE (1960-1972).

 

Avec les historiens contemporains on peut rappeler que cette République Malgache est née juridiquement, le 26 juin 1960, dans une euphorie certaine. Et cela, malgré les critiques acerbes et acides adressées à la classe politique malgache au pouvoir à l’époque par les différents partis d’opposition (A.K.F.M., Monima, et autres) réunis au Congrès de Tamatave (1958) et hostiles à l’idée de Communauté (titre XII de la Constitution française de 1958).

Il y a trente ans aujourd’hui, en ce mois de mai 1960, Madagascar vivait donc une période hautement historique. Mais cette République Malgache allait, douze ans plus tard. s’écrouler brutalement en l’espace de quelques jours, principalement entre les journées des 13-18 mai 1972 qui furent une période de «vide constitutionnel» absolu, jusqu’à ce que le Général Gabriel Ramanantsoa «recueille» en quelque sorte les «pleins pouvoirs» de la part du Président Philibert Tsiranana.

Avec le temps, cette première République a laissé l’impression -Idéalisée- d’une belle décennie 1960-1970. la décennie où l’on appelait Madagascar l’Ile Heureuse. Ceci est, certes, à nuancer mais l’on sait que l’idéalisation du passé -le bon vieux temps- est une tentation permanente: «Que la République était belle sous l’Empire»...

Avec le recul du temps (voilà dix huit ans déjà que la 1ère République s’est effondrée) comment peut-on caractériser en quelques mots ce régime du point de vue constitutionnel et idéologique et, par conséquent, du point de vue politique de développement économique et social?

Pour ma part, je dirais que cette République Malgache (1960-1972) prônait, à travers le discours politique et constitutionnel ainsi que la pratique diplomatique, une ‘idéologie de la modération». Peut-être vaudrait-il mieux dire «idéal de modération». En témoignaient notamment l’appel fréquent aux valeurs fondamentales de la civilisation malgache (spiritualisme. fihavanana, christianisme, etc.), et le choix du «constitutionnalisme libéral» pour étayer les fondations du nouvel Etat. Tout cela contribuait à mettre en relief, tant sur le plan interne que sur le plan International, un trait caractéristique du Madagascar de l’époque qui se résumait fréquemment (et sans doute exagérément) dans la formule: «la Sagesse Malgache».

Je voudrais, rapidement, évoquer trois points afin de mieux situer cette première période politique et constitutionnelle malgache.

a) - En ce qui concerne le texte constitutionnel,

La Constitution de 1959 (révisée en 1960, puis en 1962) s’inscrivait donc dans le droit fil de ce qu’on appelle le constitutionnalisme libéral, c’est-à-dire la philosophie politique qui inspire les démocraties libérales par opposition aux démocraties dites populaires.

1- L’élaboration de cette Constitution n’a sans doute pas été un parfait exemple de choix démocratique. Rappelons un point souvent oublié. La première Constitution de la République Malgache a été la Loi Constitutionnelle n°1 du 14 octobre 1958 adoptée par les instances malgaches à l’issue du référendum de septembre 1958 qui transformait l’ancien T.O.M. de Madagascar (dans le cadre de l’Union Française créée par la Constitution de la IVe République, titre 8) en «Etat autonome» dans le cadre de la toute nouvelle Communauté (titre 12. Constitution française de 1958). Et c’est l’Assemblée Législative malgache en place à cette date qui, s’érigeant en Assemblée Constituante, vote en niai 1959 la Loi Constitutionnelle n02 qui deviendra véritablement la Constitution de cette première République, après quelques modifications formelles en 1960 pour adapter le texte à la nouvelle situation, celle d’un Etat Malgache «indépendant» (cf. Accords franco-malgaches d’indépendance et de coopération du 26 juin 1960). Cette même Assemblée élit Philibert Tsiranana comme Président de la République en mai 1959 pour un premier septennat.

Ainsi donc, lorsque Madagascar devient Etat indépendant, en juin 1960, le choix du régime politique a été déjà fait. En auraIt-il été autrement si l’on avait décidé, en 1960. d’élire une nouvelle Assemblée constituante, ou de procéder û un référendum constitutionnel?

4

Quoi qu’il en soit, il faut rappeler encore que si la 1ère République Malgache célébrait solennellement l’anniversaire de l’indépendance le 26juin. la Fête Nationale (républicaine) etait le 14 octobre. Qui s’en souvient aujourd’hui?...

2 - La Constitution malgache de 1959 était plus ou moins décalquée (comme toutes les Constitutions des nouveaux Etats africains francophones des années 60) sur le système constitutionnel de la Ve République française. Mimétisme sans doute inévitable en cette première phase de décolonisation. Elle comportait cependant des points originaux par rapport aux autres FRais africains: un bicamérisme maintenu tout au long de la décennie 60-70 où le Sénat malgache -à orientation quasi fédérale (nombre égal de sénateurs pour chacune des six provinces)- avait un rôle juridique et politique pas du tout négligeable aux cotes de l'Assemblée Nationale: et un Exécutif monocéphale particulier puisque le Chef de l’Etat. chef de gouvernement, pouvait devenir, après des procédures diverses, politiquement responsable devant l’Assemblée Nationale. Bel exemple de «parlementarisme rationalisé» offert par cette Constitution malgache de 1959 (art.44) qui n’a jamais donné lieu à application entre 1960 et 1972,...mais qui refait surface dans certain projet constitutionnel en 1990!!

Et, pour l’Histoire, notons que la révision constitutionnelle de juin 1962 prévoyant à l’avenir l’élection du Président de la République Malgache au suffrage universel direct se situe avant la modification constitutionnelle française d’octobre 1962. Sur ce point précis Tsiranana aura précédé le Général de Gaulle. Dont acte...

3 - Cette Constitution, enfin, était fondée sur les grands principes constitutionnels des démocraties libérales (occidentales). La République Malgache 1960-1972 se situait manifestement dans la catégorie des ‘Démocraties Représentatives» (cf. art. 3 a 6). principes de souveraineté nationale et de séparation des pouvoirs; proclamation des droits fondamentaux individuels et collectifs (cf. préambule); pluralisme politique: bicamérisme, et contrôle de constitutionnalité des lois par l’intermédiaire du C.S.I. (Conseil Supérieur des Institutions).

De tout cela, il faut bien reconnaître que la démocratie «semi directe» (Initiative populaire et référendum) n’avait officiellement pratiquement pas de place dans cette 1ère République: et que le contrôle de constitutionnalité des lois était plus formel que réel.

Tel était le schéma politique de cette 1ère République, d’après le texte constitutionnel de 1959.

b) - En ce qui concerne la pratique politique et diplomatique,

je dirais qu’elle s’est organisée principalement autour de la forte personnalité du Président Tsiranana et de l’appui quasi inconditionnel (jusqu’en 1970) du paru PSD (Parti Social Démocrate): un parti extrêmement dominant puisqu’il dispose alors de 102 sièges sur 105 à l’Assemblée Nationale.

A ce stade le régime politique malgache apparaît beaucoup plus «présidentialiste» que parlementaire. Disons, jusqu’en 1971, un présidentialisme «tempéré».

Cette République s’était orientée à fond sur le modèle politique et économique occidental en nouant des liens privilégiés avec la France et la Communauté Economique Européenne (F.A.C.. F.E.D.), et en étant solidement ancrée à la zone franc. La diplomatie malgache affichait hautement ce choix dans les Instances internationales (ONU, OUA. OCAM) où les discours du Président Tsiranana faisaient souvent «la différence», par la franchise du ton.

Sur le plan économique l’attachement à l’économie de marché et au modèle capitaliste («la nationalisation c’est le vol» aimait répéter Tsiranana) s’accompagnait toutefois d’un fort interventionnisme de l’Etat. Un secteur public important, un effort louable pour développer des formules communautaires (coopératives, animation rurale, etc.) et des formules d’économie mixte (sociétés. fermes d’Etat, syndicats économiques préfectoraux. etc.), donnaient même l’impression aux observateurs «frileux» que cette République «libérale» faisait la part trop belle à l’économie planifiée. N’oublions pas qu’à l’époque le ministre André Resampa apparaissait à certains comme un (dangereux) homme de gauche -attire par les expériences communautaires en Israël (les Kibboutz), autogestionnaires en Yougoslavie, et social-démocrates en République Fédérale Allemande.

Ne pas oublier non plus qu’en 1964-1965, le parti d’opposition AKFM. Officiellement partisan du «socialisme réel» (marxiste-communiste), se déclarait d’accord «à 80%» avec la politique économique du gouvernement Tsiranana. il faudra qu’un jour les historiens malgaches retracent en toute objectivité le parcours de cette (Première) République Malgache qui n’avait pas que des défauts, comme on a tenté de le faire croire, à certain moment, après 1972.

Pour toutes ces raisons, la République Malgache était assez «dissonante» par rapport à l’ensemble des nouveaux Etats francophones du continent africain dans la mesure où elle semblait épargnée par l’instabilité politique et constitutionnelle qui allait dès 1963 (assassinat du Président Sylvanus Olympio au Togo) faire entrer ces Etats dans un cycle de troubles quasi permanents. En cette époque d’ardent activisme panafricaniste -avec les thèses développées notamment par N’Krumah (Ghana), Sekou Touré (Guinée), et Nasser (Egypte)- les Etats africains se scindent diplomatiquement en deux groupes: le «groupe de Monrovia», qui se veut révolutionnaire, et le «groupe de Casablanca», partisan de la modération et de la négociation. Madagascar adhère évidemment à celui-là.

 

c) - Quel bilan peut-on faire de ces douze années de (première) République Malgache?

Impossible à dire en quelques mots. Je me bornerai donc, en me référant au thème officiel de cette conférence (Constitutions et Idéologies), à deux réflexions.

1-La Constitution malgache de 1959-1960 était-elle une «bonne» Constitution, c’est-à-dire susceptible de permettre ou «d’accompagner» le développement économique, social et culturel d’un Etat «nouveau» et dit sous-développé ? Je n’en sais rien, car il n’y a jamais de bonne Constitution en soi. Je crois personnellement qu’il y a des Constitutions plus ou moins bien adaptées à un type de société politique, à un moment de son développement et de son ambition. Je pense qu’une Constitution n’est pas en soi l’instrument direct de développement économique et social d’un pays, mais -et c’est Important- qu’elle est l’indispensable cadre juridique dans lequel fonctionnent les acteurs politiques et les agents économiques et sociaux-. Il y a là, incontestablement, un problème d’adéquation entre les institutions constitutionnelles d’un pays et la société qui le compose. C’est le débat permanent sur le thème des rapports entre «pays légal et pays réel», ou si l’on préfère l’expression à la mode, le rapport entre ‘Etat (appareil d’) et Société civile»...

Ajoutons que dans les années 60, pour tous les «Etats Nouveaux» (l’expression est née à cette date), le mimétisme constitutionnel s’imposait presque naturellement: faire le pari d’un développement effectif ou bien en choisissant le modèle constitutionnel libéral classique (capitaliste), ou bien en optant pour le modèle autoritaire socialiste-marxiste, tel qu’il se présentait à cette époque dans toute sa rigueur d’économie planifiée. La recherche d’une hypothétique «troisième voie» (par exemple, le «Consciencisme» de N’Krumah) aboutissant plus ou moins à une impasse.

De ce point de vue, les différentes expériences tentées par Madagascar au cours des trente années écoulées (1960-1990) contribuent sérieusement à la réflexion...

2 - S’agissant d’idéologie, je serais tenté de dire que la 1ère République Malgache n’a pas été, en dépit du discours officiel, une République très «électrisée» par l’idéologie. Le Président Tsiranana lui-même se réclamait du pragmatisme, de la sagesse malgache, du réalisme (une certaine «real-politik» déjà).

Au total, une «bonne « Social-démocratie presque oecuménique politiquement- sous réserve d’un refus total de l’idéologie marxiste-communiste ou de ce qui pouvait lui ressembler...-, mais une social-démocratie un peu trop vite satisfaite d’elle-même avec le temps, un peu «ronronnante» après une décennie, et donc inévitablement décevante pour une partie de la jeune génération politique qui aspire à autre chose. ..et s’ennuie de ce régime qui (la maladie de Tsiranana aidant à partir de 1970-1972) semble paralysé. Il nous semble qu’il y a là une part d’explication des événements de 1972.

6

II- DEUXIEME PERIODE:

LE REGIME PROVISOIRE 1972-1975.

 

Ce fut une période courte mais dense et confuse, dramatique aussi, dans l’histoire contemporaine de Madagascar. Pour ceux qui ne l’ont pas vécue sur place et n’ont pas pris le soin de prendre des notes sur les évènements, le risque est grand d’avoir une vision tout à fait erronée de cette période de transition où la crise de société n’a cessé de s’approfondir.

il faut rappeler quelques dates avant de s’interroger sur la nature de ce régime provisoire qui aura duré trois années et demi (mat 1972- décembre 1975).

a) - Les dates-clefs se situent en 1972 et en 1975,

les années 73 et 74 -quoique riches d’événements divers elles aussi- étant somme toute moins significatives du changement politique en cours.

1- Année 1972:

Du 13 au 18 mai, c’est à proprement parler le vide politique. Le Gouvernement a manifestement perdu le contrôle de la situation à Tananarive depuis la journée sanglante du 13 mai. Et c’est seulement le 18 mal que le Général Gabriel Ramanantsoa, chef d’Etat Major de l’armée. «reçoit» les pleins pouvoirs de la part du Président Tsiranana. Et cela en vertu de l’article 12 de la Constitution malgache de 1959 relatif à «l’état de nécessité nationale» (à peu près l’équivalent de l’article - 16 de l’actuelle Constitution française). mais qui, en droit strict, était.. .inapplicable. Sur ce point de droit constitutionnel <sans doute mineur eu égard à la situation politique du moment) j’avais rédigé pour l’hebdomadaire LUMIERE (juillet 1972) un article strictement juridique qui me valut pourtant la réprimande (verbale) non pas dû gouvernement malgache mais.. .des autorités françaises. Passons.

Ce «Gouvernement Ramanantsoa» était donc, au départ, un gouvernement de fait, ni plus ni moins. Par une «ordonnance» du 5 juin 1972. Il légalise tout ce qui s’est passé à Madagascar depuis le 18 mai et entend ainsi se donner un début de légitimité, à défaut de base constitutionnelle solide.

Dans la foulée, il organise un référendum constitutionnel (octobre 1972) qui va doter Madagascar d’un régime officiellement provisoire et, désormais, parfaitement légitime. ce référendum donne naissance à la «LOI Constitutionnelle Provisoire du 7 novembre 1972!’ qui se substitue donc à la Constitution de 1959. C’est. juridiquement, la fin de la 1ère République Malgache et. par conséquent, la fin officielle du mandat présidentiel de Philibert Tsiranana, même si celui-ci est autorisé à résider encore au palais de Mahazoarivo.

Notons pour la petite histoire que ce référendum constitutionnel coupait l’herbe sous les pieds, si l’on peut dire, aux «acteurs progressistes» du mai malgache qui avait un projet de Constitution beaucoup plus révolutionnaire. Je me souviens qu’en l’été 1972, non loin d’ici, au bas de la rue Soufflot où Il y avait le célèbre café «le Mahieu».. .-devenu hélas un quelconque Mac Donald- des dirigeants du K.I.M. (comité de liaison des acteurs du mouvement de 1972) m’avaient présenté leur projet de Constitution.. .qui était tout autre que la Loi Constitutionnelle de novembre 1972. Il y a eu là, sans doute, une première fracture politique entre le Gouvernement Ramanantsoa et les principaux acteurs (ou se considérant comme tels) de la «Révolution» de Mai 1972. Et s’il est dans la génération malgache actuelle des personnes qui ignorent les sigles K.I.M. ou encore Z.O.A.M.-qui «faisaient la une» en 1972-1973 dans la presse écrite et audio-visuelle du pays-, c’est le signe que l’histoire s’est terriblement accélérée...Cette période 1972-1975 est à restituer à la mémoire malgache.

2-Année 1975:

C’est l’année dramatique et l’année décisive pour le grand changement politique.

-fin janvier 1975: démission du Général Ramanantsoa après 28 mois passés (difficilement) à la tête du Gouvernement provisoire.

-11 février 1975: assassinat à Tananarive, en pleine ville, du successeur désigné, le Général Ratsimandrava, après huit jours à peine de gouvernement.

-création immédiate et de facto d’un «Directoire Militaire» (18 membres) placé sous la

direction du Général Andriamahazo. qui réussit à maintenir l’ordre public et à assurer la gestion d’un pays littéralement traumatisé.0

-juin 1975, sabordage du Directoire Militaire au profit d’un nouvel organe, provisoire, appelé Conseil Suprême de la Révolution (CSR) à la tête duquel est propulsé Didier Ratsiraka, ancien (brillant) ministre des affaires étrangères du Gouvernement Ramanantsoa.

-décembre 1975. référendum du 21 décembre par lequel le peuple malgache adopte, à une très forte majorité et par un seul vote: la Charte de la Révolution Socialiste Malagasy (appelée le Livre Rouge ou Boky Mena), la nouvelle Constitution, et la désignation de Didier Ratsiraka (candidat unique) comme Président de la République pour un mandat reconductible de sept ans. Quel parcours dans les six derniers mois de l’année 1975!

- Du moins sort-on de la période officiellement provisoire. La nouvelle Constitution promulguée le 31 décembre 1975 crée la République Démocratique de Madagascar (RD.M.). c’est-à-dire. en fait, la deuxième République Malgache.

b) - Que peut-on ou doit-on, aujourd’hui retenir de cette période provisoire?

Période provisoire qui a fait basculer d’une République à l’autre beaucoup d’enjeux. d’espoirs. et aussi de désillusions.

1 - Pour le spécialiste de Droit Constitutionnel, la Loi Constitutionnelle Provisoire du 7 novembre 1972 (à laquelle se réfèrent officiellement, après Ramanantsoa, le Directoire Militaire, le CSR et la Constitution de 1975 !) est d’un intérêt certain. A l’époque contemporaine, il est très rare que les régimes provisoires se donnent d’avance une durée déterminée, et plus rare encore que soit expressément prévu le procédé de la cooptation pour la désignation du chef d’Etat ou de gouvernement. Or, ces deux aspects figuraient dans ce texte: la durée du régime provisoire était fixé au maximum à cinq ans (soit 1972-1977). et le chef du Gouvernement pouvait désigner (art.3) son successeur. Ce que fit précisement le Général Ramanantsoa. en février 1975. en nommant Ratsimandrava. Sur le plan de la théorie constitutionnelle, la période provisoire malgache fournit donc un exemple intéressant. Ce n’est pas à négliger.

2 - L’objectif de ce régime provisoire, tel que fixé par la Loi Constitutionnelle

du 7 novembre 1972. était précis. Il s’agissait de «rénover» la société malgache afin de

.restaurer un régime républicain -au plus tard après cinq ans- dans le respect des grands principes de la démocratie libérale. L’article 4 de la Loi Constitutionnelle Imposait au futur constituant le respect de plusieurs règles, notamment: souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, garantie des droits fondamentaux et des libertés publiques ... En d’autres termes. en octobre 1972. on avait envisagé la reconduction -à terme- d’une seconde République malgache tout aussi «libérale» que la première mais de façon plus «effective» puisque renovée.

On peut donc se demander. en droit strict, si la création de la République Démocratique de Madagascar (RDM) en décembre 1975 -qui déclare s’inscrire dans la filiation de la Loi Constitutionnelle de 1972- ne relève pas, comme disent parfois les juristes. d’une «fraude à la Constitution». De toute façon, tout ceci a été balayé par le référendum ou par le vent de l’Histoire!

Et retour au débat, incontournable (?). sur la légitimité du pouvoir des gouvernants.

3 - La pratique gouvernementale durant cette période provisoire s’est révélée très délicate et très difficile pour le Général Ramanantsoa qui, semble-t-Il, n’a jamais réussi à maîtriser vraiment la situation.

La composition de son Gouvernement, volontairement très équilibrée, (militaires/civils et représentants des différentes régions de la Grande Ile) a abouti à une sorte de gouvernement de coalition, fragile. Les très nombreuses initiatives économiques, sociales et culturelles -annoncées et entreprises, à commencer par les nationalisations dans plusieurs secteurs importants de l’économie et par la politique fiscale- n’ont pas eu les retombées attendues. Un certain confusionisme s’est instauré, et surtout, des oppositions/affrontements idéologiques au sein du Gouvernement. Qu’il suffise d’évoquer ici, d’un mot, l’ordonnance du 24 mai 1973 sur «la maîtrise populaire du développement». signée du Colonel Ratsimandrava. à l’époque ministre de l’intérieur dans le Gouvernement Ramanantsoa. Cette ordonnance, qui sera modifiée en 1976. est à l’origine du système actuel de décentralisation malgache: le système Fokonolona/Fokontany (les V.I.P.). Mais, au départ. elle véhiculait une promesse d’autogestion que n’acceptaient pas certains membres du Gouvernement beaucoup plus soucieux du «pouvoir d’Etat».

8

c) - Quelle conclusion peut-on raisonnablement tirer de cette période provisoire?

Nous nous limiterons à trois réflexions sommaires.

1 - Tout d’abord, ne pas oublier que cette période provisoire, politiquement agitée, s’est placée avant tout sous le signe du développement économique autocentré, et de la participation populaire au développement. Il S’agissait d’inverser autant que possible le courant «néocolonialiste» de la 1ère République afin de donner au peuple malgache dans son ensemble le supplément attendu de richesse, ou du moins de satisfaction. C’est dans ce sens que furent élaborées de nouvelles règles en matière d’économie, de commerce, et de fiscalité. SI le résultat n’a pas été ce que l’on espérait, Il serait malséant de mettre en cause l’intention originale. Il serait d’ailleurs très souhaitable qu’une étude objective soit faite sur la politique économique et fiscale malgache des années 72-75. Un travail à faire !

2 - Sur le plan idéologique, cette période provisoire apparaît comme une rupture totale avec la 1ère République puisqu’elle est destinée officiellement à remodeler l’avenir de Madagascar. Mais les maître-mots du régime provisoire (textes officiels et discours) sont rénovation et apolitisme. Il ne s’agit donc pas de «transformer’ la société malgache mais, disons, de l’améliorer (surtout au niveau du système politique), il ne s’agit pas de supprimer les partis et forces politiques et syndicales, mais bien au contraire de leur donner la plus grande latitude d’expression. Jamais les manifestations de vie politique et culturelle (à travers journaux, revues, et autres formes d’expression) n’ont été aussi multiples que dans les années 1972-1974. Mats l’apolitisme gouvernemental signifiait que le Gouvernement Ramanantsoa s’interdisait par principe de solliciter les partis politiques et/ou de céder aux groupes de pression. En somme, volonté d’avoir un gouvernement plutôt technocratique et ... efficace.

3 - L’échec du Gouvernement Ramanantsoa ne doit pas être imputé à la seule personne du Général. Ce n’est pas à lui de porter le chapeau...ou plutôt le képi! il ‘s’est trouvé (malgré lui) héritier d’un pouvoir politique qu’il ne sollicitait pas et s’est efforcé, ensuite, de l’exercer au mieux dans une période très difficile. En mal 1972, il n’y a pas eu de Coup d’Etat militaire à Madagascar, bien au contraire: c’est le pouvoir civil qui a sollicité le pouvoir militaire pour assurer la transition, tout en espérant reprendre plus tard la direction. Ce qui ne s’est pas fait.

Si idéologie Il y a eu dans cette période provisoire 1972-1975, c’est bien l’idéologie de l’ambiguïté, celle de la lutte sans merci. ..pour le pouvoir.

9

 

III - TROISLEME PERIODE:

LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DE MADAGASCAR (1975-1990)

Je prends le risque de dire que, plus tard, l’année 1990 sera considérée comme étant celle de la fin officielle de la RD.M.. telle que cette République nouvelle (la seconde) avait été voulue au départ.

Les profonds changements en cours dans le monde, avec leur répercussion plus ou moins inévitable (à terme) à Madagascar. autorisent sans doute cette prévision.

On sait qu’à partir de 1975 c’est l’idéologie socialiste révolutionnaire «tous azimuts» qui imprime sa marque au régime dans tous les domaines (politique, économique, diplomatique, culturel, etc.). Le référendum du 21 décembre 1975 (pas moins de trois questions pour une seule possibilité de réponse ...: adoption de la Charte de la Révolution. adoption de la nouvelle Constitution, désignation du Président Didler Ratsiraka pour un premier septennat) officialise en quelque sorte ce «renversement idéologique» total par rapport aux principes de la 1ère République et. aussi, de la Loi Constitutionnelle Provisoire du 7 novembre 1972. La Constitution de la RD.M. -qui fait officiellement référence à cette Loi pour mieux affirmer sans doute la continuité dans la légalité révolutionnaire- instaure en réalité un système politique qui est ~ l’opposé des souhaits et espérances formulés en 1972 et «approuvés» par le peuple (référendum d’octobre 1972).

Ainsi, vont (un peu à tous les vents) les «consultations populaires directes»... à Madagascar et ailleurs!

Pour souligner ce changement idéologique fondamental on doit, d’abord et avant tout, se référer au (nouveau) discours politique officiel: le mot «Révolution» se substitue à celui de «Rénovation» qui avait été le maître-mot de la période provisoire. Ce n’est effectivement pas la même chose! Plus précisement on se rapportera au. préambule de la Constitutionl de 1975 et, en particulier, aux premier et dernier paragraphes qui nous paraissent fort bien résumer, par un vocabulaire spécifique, la philosophie politique de la R.D.M.

«Le peuple Malgache

- Fidèle aux traditions de lutte, entretenues tout au long de son histoire par les meilleurs de ses fils qui se sont sacrifiés pour que soient à jamais abolies l’exploitation de l’homme par l’homme ainsi que toutes les formes de domination, d’oppression et d’aliénation qui en découlent;

- Décidé à construire un Etat de type nouveau, expression des intérêts des masses laborieuses, et à édifier une société conforme aux principes socialistes énoncés dans la «Charte de la Révolution Socialiste Malagasy».

Déclare»

……

On admettra que ce type de discours ne s’inscrit pas dans la ligne du constitutionnalisme libéral. C’est un autre choix de société qui est fait.

A l’issue de ces quinze années (1975-1990) de pratique constitutionnelle sous la bannière R.D.M., je pense que l’on peut faire trois observations générales. ou plutôt trois constatations.

a) - La Constitution du 31 décembre 1975

Cette Constitution créant la R.D.M. est un texte long (118 articles), à la fois détaillé mais pas toujours précis, complexe à certains égards et, surtout. très idéologique.

Le spécialiste de Droit Constitutionnel est tenté d’y re1ever «trois niveaux».

1 - S’agissant du premier niveau. Il faut souligner (peut-être pour la surprise de certains citoyens malgaches) que la Constitution de 1975 ne fait pas table rase du passe. La Constitution de 1959 survit en effet, mais au titre de loi ordinaire ~donc modifiable par l’Assemblée Nationale Populaire). dans toutes ses dispositions qui ne sont pas contraires au texte adopté en 1975. Ainsi, à l’heure actuelle, au moment où je parle en ce 10 mai 1990. toute une série d’articles de la Constitution RD.M. sont la reproduction exacte d’articles repris de la Constitution de la 1ère République. (Alors, on a dit Révolution ??). En fait il s’agit surtout d’articles à connotation très juridique. A titre d’exemple, toutes les dispositions, ou presque. relatives à la fonction législative (domaine de la loi et domaine du règlement) ainsi qu’aux rapports entre Premier Ministre/Gouvernement et Assemblée Nationale (l’aspect «parlementaire» du régime), sont repris de la Constitution de 1959. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ce point de Droit Constitutionnel.

2 - Le deuxième niveau, beaucoup plus significatif, emprunte au système constitutionnel marxiste, et c’est là, bien sûr, une innovation d’importance à Madagascar. Je ne dis pas que la R.D.M. a voulu imposer le marxisme en tant que doctrine, je relève seulement qu’elle s’inspire beaucoup de la théorie marxiste de l’Etat -vocabulaire, institutions, et mécanismes juridiques- dans la construction de cet «Etat de type nouveau» (cf.préambule). Ainsi, en ce qui concerne «l’appareil d’Etat», il y a un organe Exécutif complexe et d’ailleurs assez lourd (Président de la République et Conseil Suprême de la Révolution, Premier Ministre et Gouvernement, Comité Militaire de Développement) qui renvoie peu ou prou à la structure des gouvernements en régime socialiste-marxiste. Il y a une Assemblée Nationale Populaire (monocamérisme) qui est, en droit. «délégataire suprême du pouvoir», ce qui renvoie au ... Soviet Suprême de I’URSS (version avant 1990 ?). Le principe d’imité du pouvoir d’Etat, caractéristique des régimes socialistes-marxistes, l’emporte donc sur le principe de la séparation des pouvoirs, spécifique du Constitutionnalisme libéral.

il y a (avait ?), aussi et surtout, dans la Constitution malgache de 1975 adoption officielle de deux règles qui sont au coeur du système constitutionnel marxiste; celle du parti unique qui «anime et guide la Révolution dans son élan vers l’édification du Socialisme, et inspire l’autorité de l’Etat» (art.9), en l’occurrence, ici, le «Front National pour la Défense de la Révolution» (art.8) dont chacun sait que sa création officielle, en 1976, avait été conçue comme l’étape préliminaire nécessaire avant là fusion des partis (dits) révolutionnaires en un seul parti politique; et, bien, sûr, la règle ou principe du centralisme démocratique; défini par la Charte de la Révolution, qui s’applique à tous les niveaux. y compris dans les collectivités décentralisées (art. 102) ou V.I.P. (Fokontany, Firaisampokontany, Fivondronana, Faritany).

Ajoutons, enfin, que la R.D.M. s’alignait (heureusement) sur les Etats socialistes-marxistes en «Constitutionnalisant» les garanties des libertés et droits fondamentaux, individuels et/ou collectifs, de llndividu et du citoyen. Le titre Il de la Constitution (art. Il à43) consacré aux «droits et devoirs fondamentaux» est particulièrement développé.

A la différence donc de la 1ère République Malgache qui ne proclamait ces droits que dans le préambule de la Constitution -qui n’avait pas force juridique précise-, la RD.M. peut (pouvait ?) se flatter de «promouvoir» les droits de l’Homme en assurant leur garantie juridique effective. Sauf, tout de même, à noter que ces droits du citoyen s’accompagnent de nombreux «devoirs» (ce qui est, somme toute, normale en démocratie), et à relever que l’exercice de ces droits est enfermé dans des limites d’autant plus rigoureuses qu’elles sont... très imprécises!

- Cf. art.. 13: ‘Les libertés fondamentales et les droits Individuels sont

garantis dans le cadre de la Charte de la Révolution Socialiste’.

- Cf art.16: «Quiconque abuse des libertés constitutionnelles ou

légales pour:

combattre la Révolution: entraver l’avènement de l’Etat

socialiste: violer la Constitution; porter atteinte aux intérêts de la collectivité; mettre en danger l’unité de la Nation;

encourt la déchéance de ses droits et libertés.

Les droits ci libertés du citoyen trouvent également leurs

limites dans la loi et les impératifs de nécessité nationale».

Qui pourra jamais dire ce que sont les «impératifs de nécessité nationale» ?! Trêve d’hypocrisie. Une telle rédaction, à notre avis, ne garantit pas, malgré leur officielle «valeur constitutionnelle», le respect minimum des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen malgache.

3 - Au troisième niveau, enfin, il faut relever -et cela nous semble important- que la Constitution de la R.D.M. est, pour son application et interprétation, subordonnée à la Charte de la Révolution Socialiste. Ce qui veut dire que tel ou tel article de la Constitution doit être éventuellement «lu», ou si l’on veut ‘traduit’, par le juge constitutionnel (Conseil Supérieur des Institutions -C.S.I.-. puis l’actuelle Haute Cour Constitutionnelle -H.C.C.-) à la lumière de la Charte. Plusieurs articles. en effet, renvoient à la Charte (cf. art. 13. 53. 56. 102. etc.). et plusieurs décisions du C.S.I. puis de la H.C.C.. en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, ont confirmé cette subordination de la Constitution ~ la Charte de la Révolution.

Cela, à notre avis, affaiblit singulièrement le caractère de «Nonne Fondamentale’ attaché à la Constitution dans les démocraties libérales. Et même en Union Soviétique où les Constitutions successives de 1918. 1924. 1936 et 1977 (sans parler des révisions en cours) n’ont jamais été juridiquement subordonnées à un document idéologique marxiste, léniniste ou stalinien.

A notre connaissance cette «idéologisation» maximum et Institutionnalisée de la Constitution n’a eu, à l’époque contemporaine, que deux autres exemples -aujourd’hui disparus en raison.. .de la chute du régime politique-: la Constitution de la République Démocratique d’Algérie de 1976 (époque du Président Boumédienne). et celle du Kampuchéa Démocratique, celui de ... Pol Pot. Des références qui ne sont pas restées comme des exemples parfaits de démocratie.. .populaire et socialiste.

b) - L’idéologique dominante de la R.D.M.

A été -et demeure officiellement à ce jour- le «socialisme révolutionnaire», marqué notamment par un discours «tiers-mondiste» généreux et peut-être utopiste (ce qui n’est pas en sol un péché !).

On ne s’attardera pas sur ce point puisque tout le monde connaît (?) le contenu du Boky Mena ou Livre Rouge, c’est-à-dire la célèbre «Charte de la Révolution Socialiste Malagasy’ de 1975 dont j’ai déjà parlé à propos de la Constitution. Qu’il suffise ici de rappeler que cette Charte proclamait et proclame toujours que.. .«la Révolution vient d’en haut’. Ce qui peut (ou pourrait) surprendre le militant révolutionnaire de base, et met en relief les «ambiguïtés» qui ont entouré la naissance de la R.D.M. en 1975 -après les variations et incertitudes de la période 1972-1975.

la Charte légitime la politique étrangère «tous azimuts» lancée dès 1972 avec un certain succès: elle conduit naturellement à développer à Madagascar une politique économique fondamentalement socialiste (cf. Charte des Entreprises Socialistes 1978; Coopératives Socialistes: Sociétés d’Etat, etc.). mais qui a dû être interrompue face aux résultats décevants.

Ces «excès Idéologiques» ont conduit surtout, à notre avis, à un affaiblissement progressif mais très net du respect du principe de légalité -y compris d’une «légalité socialiste»-, malgré le contrôle officiel, devenu plus ou moins formel. des tribunaux judiciaires, de la chambre administrative de la Cour Suprême. de la H.C.C.. Et le Pouvoir qui avait manifestement au départ (1975) une coloration collégiale -le Président de la République décidant «en Conseil Suprême de la Révolution»- a rapidement glissé au système présidentialiste. plus ou moins autocratique à l’occasion. Les clivages et ruptures au sein du Front de Défense de la Révolution, de plus en plus manifestes au cours de Ces dernières années, contribuant à l’apparition du pouvoir présidentiel...solitaire.

Ce n’est pas ce qui avait été imaginé et prévu en 1975. Glissades...

c) - L’échec politique et économique de la R.D.M.

Est un fait, constaté et enregistré, depuis le milieu des années 1980-1990. L’éclatement politique du Front de Défense de la Révolution au cours de l’année 1988. les rivalités de personnes suscitées à l’occasion de l’élection présidentielle de 1989, et l’importance de l’abstentionnisme aux différentes élections nationales et locales de cette même année, sont un signe déterminant. La première (vraie) révision constitutionnelle de la fin 1989 en apporte la preuve. En attendant, probablement d’autres réformes institutionnelles...

12

i - Ou point de vue économique. les statistiques sont cruelles et. plus encore, les comparaisons. il ne s’agit pas de faire porter la faute sur telle ou telle personne. ou tel groupe de personnes, mais de faire -avec le temps- le bilan d’un système politico-économique qui n’a pas réussi. en dépit de ses ambitions et des moyens utilisés. Le retour à un certain «libéralisme économique» depuis 1987 est, à lui seul. la preuve de cet échec. Qui n’est certes pas imputable. au seul gouvernement malgache du moment, quand on connaît les moeurs de l’économie internationale...

2 - Il n’empêche que l’écart entre les ambitions et la réalité est dramatique. qu’il suffise de comparer. à grands traits, l’intention des responsables malgaches en 1975-1978 et les statistiques les plus récentes concernant la situation économique et sociale de Madagascar.

3 - En 1978-1979 le Gouvernement publiait la première paille du «Plan de développement socialiste» de Madagascar, axé sur l’An 2 000. Le premier plan révolutionnaire. si l’on peut dire, mettait l’accent sur les «options fondamentales de la planification socialiste». Il était prévu (et écrit) que Madagascar aura:

‘Avant la fin du siècle... une économie en mesure de satisfaire les besoins du peuple. Que L’appropriation des moyens de production

assurera, par ailleurs, une répartition Juste et équitable du travail..».

Quant au Malgache de l’an 2 000:

«(II) bénéficiera de la sécurité et de la gratuité sociales:

allocations sociales diverses, soins et enseignement gratuits.

Mieux nourri (avec un régime alimentaire plus riche et plus équilibré) et habillé correctement, Il aura un logement décent.’ en particulier, l’eau courante sera à domicile ou à distance réduite, et l’électricité dans son foyer.

Pour son loisir, le développement des Infrastructures

culturelles et sportives lui permettra de s’épanouir pleinement.

Ainsi le Malgache de l’an 2 000 vivra dans une société socialiste où, selon le principe de «chacun selon ses capacités, & chacun selon son travail», la répartition du revenu sera équitable: les écarts entre riches pauvres, entre villes et campagnes, et autres régimes seront très réduits».

Bel exemple, presque caricatural, d’un texte qu’on pourrait qualifier de «économisme idéologique»; mais triste exemple aussi quand on sait les résultats. Faut-Il rappeler que ce document est toujours, officiellement du moins, en vigueur en mai 1990?

4 - D’autres statistiques montrent, en effet, que l’Etat malgache -la R.D.M- est au bord de l’implosion (ou explosion ?) en termes strictement économiques. Même si les données chiffrées sont toujours approximatives et donc discutables, les statistiques ont le mérite de donner au moins un ordre de grandeur fiable. Celles que Je donne ici sont extraites des tableaux et commentaires présentés dans l’ouvrage Intitulé Le nouvel état du Monde: La décennie 1990 (éd. La Découverte, Paris, mars 1990). On y volt que la population de Madagascar, estimée à environ 12 millions en 1989, devrait, selon les projections, se situer à 33 millions vers l’an 2025!

On y voit surtout que Madagascar fait partie désormais, selon le classement de la Banque Mondiale, du groupe du quart-monde, de ceux qu’on appelle les P.M.A. (les Pays les Moins Avancés).

Une catégorie dans laquelle ne figurent ni 111e Maurice, ni... la Namibie. Sur les 42 pays classés comme P.M.A. par la Banque Mondiale en 1989-1990, Madagascar apparaît comme l’un des plus défavorisés. Je relève ici quelques indicateurs (année 1988-1989):

PNB par habitant: 180 US$, c’est l’un des plus bas parmi les P.M.A. (Madagascar étant sur ce point en compagnie du Bangladesh. du Kenya. de la Tanzanie, de l’Ethiopie, de la Somalie, du Malawi, du Tchad. du Mozambique et. ..du Zaïre).

Taux de croissance économique annuel pour la période 1980-1988: -0.3 (il était de zéro (0) pour la période 1970-1978). Ce taux de croissance négatif (!) caractérise il pays sur les 42 P.M.A.. La RD.M. est ainsi en compagnie des Etats suivants: Cambodge, HaïU, Libéria, Mozambique, Nigeria, Niger. Somalie, Tchad, Yémen, Zambie.

13

Indicateurs sociaux: Parmi les 42 pays classés P.M.A., Madagascar figure avec 32,5% d’analphabètes, et 120% de mortalité infantile.

Quant à la dette extérieure, son service représente en valeur des exportations 53’7%. C’est l’un des plus élevés après le Ghana (62,8%).

Quand on lit ces statistiques et qu’on les confronte aux objectifs du «Plan de développement socialiste» qui devait apporter le bonheur en l’an 2 000 et transformer véritablement Madagascar en un «Etat de type nouveau» (cf. préambule, Constitution de 1975). on se dit forcément que çà n’a pas marché. Alors, utopie? incompétence ? mauvaise gestion? confusion entre intérêts privés et intérêt public ? manque de civisme et du sens du «service public» à tous les niveaux ?.. .Ce n’est pas à moi d’en parler.

Je me bornerai à faire deux constats. Après la coupure profonde 1972-1975 et quinze années de R.D.M.. il me semble que Madagascar n’a pas réussi encore à retrouver ce «minimum de consensus national» qui est indispensable pour la (re)construction d’un régime constitutionnel adapté à la société. En revanche, depuis les milieux des années 1980, on enregistre une nouvelle «demande politique», variable certes dans sa formulation et dans son contenu, qui tend -non pas à «restaurer’ la 1ère République (que le jeune malgache qui a 15 ou 20 ans en 1990 ignore d’ailleurs parfaitement)- mais à revenir, constitutionnellement parlant, à plus de réalisme.., et de modestie idéologique.

Il faut toutefois signaler (et s’en réjouir) que l’année 1989, d’après certains experts, marquerait sinon le début d’une relance/croissance économique à Madagascar, du moins l’arrêt d’un processus d’appauvrissement systématique.

*

14

 

IV - QUATIRIEME PERIODE:

VERS LA TROISIEME REPUBLIQUE MALGACHE?

 

On peut, sans grand risque de se tromper, annoncer le décès de la République Démocratique de Madagascar au tournant de l’année 1989-1990. Une première, mais un peu ambigüe, révision constitutionnelle est adoptée par l'Assemblée Nationale Populaire en décembre 1989 et publiée au J.O.RD.M. du 2 janvier 1990: suppression du Front (art. 9 et 29 de la Constitution de 1975) et ouverture relative au multipartisme (art.8 et 16 nouveaux).

a) - Une nouvelle période constitutionnelle (et idéologique?)

Une nouvelle période constitutionnelle s’est donc ouverte à Madagascar. Encore une période de transition, mais vers où, vers quoi? L’accord semble général sur l’échec de la RD.M. et, par conséquent. sur la nécessité de recoudre la tapisserie constitutionnelle. Mais par quels moyens et avec quels objectifs?

L’abolition du Front de Défense de la Révolution Malagasy et l’admission d’un certain pluralisme (cf. ordonnance du 9 mars 1990) est, certes, un moment important. Ce retour au multipartisme -comme cela se fait maintenant partout ailleurs ou presque t depuis l’automne 1989- devrait normalement modifier progressivement le cours des choses a Madagascar. Manifestement. «on» ne veut plus à Madagascar de cette RD.M. qui a tant déçu, y compris les premiers zélotes du régime. Mais comment et par quoi la remplacer? suffira-t-Il de la révision constitutionnelle de quelques articles. fussent-ils importants, pour remettre à flot la Constitution de 1975 dans- l’esprit d’un socialisme venu à la modération ? Ou faut-il envisager un changement complet de régime. disons une ‘Troisième République malgache»?

Le seul fait de pouvoir, ce 10 ruai 1990. soulever raisonnablement de telles questions illustre le changement politique en cours. En vérité, à l’heure actuelle, les Initiatives se partagent entre partisans de simples modifications constitutionnelles de la Constitution de 1975 et partisans d’un changement complet de Constitution, c’est-à-dire de régime politique. Affaire à suivre...

- b) - Le projet de nouvelle Constitution présenté officiellement par le M.F.M.:

Ce projet présenté en Octobre 1989 a précisément lancé le débat sur la nécessité d’un «changement total de Constitution» à Madagascar. une idée qui est désormais la grande plateforme politique des partiss d’opposition (1).

Sur ce projet M.F.M.. qui sera sans doute remanié et dont on va causer ici dans quelques minutes, je me limiterai -et ce sera ma conclusion- à quatre observations d’ordre général.

i - Ce texte, bien rédigé (Je veux dire sans ambiguïté rédactionnelle... volontaire ou non), réintroduit la plupart des principes classiques en vigueur dans la Constitution de 1959 et que -on le sait- la Loi Constitutionnelle Provisoire de 1972 avait tenté de maintenir. On relève notamment l’affirmation de la nécessaire séparation des pouvoirs (art.26) ; la réapparition du bicamérisme (art.30 et 40) avec un Sénat appelé à jouer un rôle important aux côtés d’une Assemblée Législative détenant normalement la primauté:

 

(1) Depuis ce 10 mai 1990. date de cette conférence donnée en Sorbonne, les rencontres et débats constitutionnels se multiplient à Madagascar au sein des partis et autres groupements d’opposition autour du thème «Troisième République». Trois questions parmi d’au Ires sont notamment posées:

Convient-il ou non que le processus de transition se fasse à l’initiative du Président Ratsiraka lui-même (ce que prévoyait dans un premier temps le projet M.F.M.)?

Ne serait-il pas souhaitable qu’un grand forum national soit organisé sur ces questions à l’initiative de forces moins engagées politiquement que les partis, par ex. les Egltses fla Fédération des Eglises Chrétiennes de Madagascar -F.F.K.M.- etc)?

Et quelles réactions attendre des «gouvernementaux» ?...

On voit que le problème est devenu très sérieux.

Le retour à un véritable système parlementaire plus ou moins rationalisé (idée du «contrat de législature»), et apparemment inspiré en partie des mécanismes en place sous la 1ère République.

Ce n’est sans doute pas un retour idéologique à celle-ci, mais c’est incontestablement un retour à des structures constitutionnelles déjà éprouvées. En bref, à mon avis, ce projet M.F.M. dépoussière complètement la façade (lourdement) «marxisante» de la Constitution de 1975 qui, tout compte fait, aura bien mal fonctionné et pas contribué, c’est le moins qu’on puisse dire, au développement du pays.

2 - A noter également la place importante accordée au respect des Droits de l’Homme, et en particulier la place prioritaire reconnue à la liberté individuelles (art.2 1).

Cela n’est pas dans le sillage idéologique d’un socialisme révolutionnaire toujours plus ou moins «collectiviste» par penchant naturel. Cela signifie-t-il donc un «revirement idéologique complet» de la part du M.F.M. (le parti des madinika) par rapport aux thèses développées à partir de 1972 ? Je ne fais que poser la question. Mais. en développant les règles relatives aux garanties des droits fondamentaux et des libertés, en voulant en assurer le plus grand respect possible à travers un système de contrôle juridique par un organe indépendant, le projet M.F.M. s’inscrit tout à fait dans ce qu’on appelle volontiers, aujourd’hui, la ‘notion moderne’ de Constitution.

3 - Dans l’analyse du discours politique et constitutionnel l’étude du vocabulaire est souvent significative, dans ce projet on relève à plusieurs reprises l’expression «démocratie politique, économique et sociale», mais je n’ai pas trouvé une seule fois l’adjectif ... «socialiste». Comme si les auteurs du texte entendaient faire l’impasse sur le Socialisme tel que pratiqué et vécu à Madagascar sous la R.D.M. afin de revenir à la Démocratie.

Ce que laisse entendre la belle formule qui se trouve (Titre X) à la fin des dispositions transitoires et qui dit tout simplement: «Gouvernement de transition vers la Démocratie»

4 - Dernière question et non des moindres: l’adoption d’une nouvelle Constitution n’entrainera-t-elle pas l’abandon de la Charte de la Révolution Socialiste malagasy?

La Constitution de la R.D.M. est si étroitement Imbriquée au Boky Mena (Livre Rouge) que la disparition de l’une provoque logiquement la disparition de l’autre. Grosse affaire, évidemment !... mais il faudra bien choisir clairement ce que l’on veut, à moins de se complaire encore dans les ambiguïtés de la politique politicienne en se limitant à quelques «retouches» de la Constitution de 1975 qui, vraisemblablement, n’auront pas d’effet déterminant, en tout cas dans l’immédiat.

Le rétablissement définitif de la confiance dans le régime, aussi bien pour les autochtones que pour les (investisseurs potentiels) étrangers, nous semble passer désormais par une réforme radicale.

Ainsi la République Malgache. alerte trentenaire, est à nouveau, et pour la quatrième fois, en «transition constitutionnelle». Puissent les expériences accumulées depuis 1960 et surtout depuis le Mai Malgache de 1972 permettre aux différents responsables politiques de faire un choix éclairé dans la recherche d’un nouveau Contrat Social.

Dans les Annales Malgaches, ce mois de mai 1990 restera probablement comme celui de l’ouverture du grand débat constitutionnel national qui aura mis fin. officieusement du moins, à quelques quinze années de R.D.M.. c’est-à-dire d’un Socialisme Révolutionnaire qui s’était voulu pur et dur. A Madagascar, on tourne, en ce moment, une nouvelle page d’histoire constitutionnelle et politique...

Charles CADOUX

Professeur à la Faculté de Droit et de Science Politique de l’Université

Aix-Marseille III. et au CERSOI (Centre d’Etudes et Recherches sur les Sociétés de l’Océan Indien)