MADAGASCAR FORUM (MF)

Entretien avec M. Manandafy Rakotonirina.

MF Mr.Manandafy, pour commencer cet entretien quelles seraient d’après vous les leçons et les acquis des élections présidentielles du 12 mars 1989?

Il apparait que le peuple malgache aspire à une large démocratisation de la société comme solution à la crise d’aujourd’Hui...les élections du 12 mars interviennent au moment où les mesures d’ajustement structurel au niveau économique, donc la libéralisation économique, sont poussées suffisamment loin pour remettre en cause la part de l’état, les modes d’interventions de l’état dans l’économie; et au niveau institutionnel et politique ces élections du 12 mars ont fait apparaître qu’une large fraction de la population malgache aspire à une vie démocratique, à la levée définitive de la censure aussi bien pour la presse privée écrite que pour la presse officielle à travers la radio et la télévision; que la population aspire à un large débat sur les problèmes économiques, sur les problèmes politiques et qu’il est apparu qu’un nouveau consensus est nécessaire pour que le pays puisse retrouver son unité, pour qu’on puisse repartir sur de nouvelles bases. Donc voilà en gros ce qui est apparu.

L’opposition est née si vous voulez après le 12 mars, réellement. Les épreuves électorales ont permis à la population de vivre une atmosphère où le président en exercice avec les moyens d’état et les prérogatives d’état pouvait être engagé dans une discussion politique publique et dans une compétition politique publique avec des candidats qui sont soutenus par d’autres partis, uniquement avec les moyens de parti, avec le soutien de la population: donc ça c’est une expérience assez inédite dans la conscience que la population peut avoir du pouvoir. Pour la première fois, le pouvoir politique est soumis donc à ce type d’épreuve, de compétition démocratique avec des larges débats sur tous les aspects de la vie nationale.

Ce qu’il faut en tirer comme conclusions provisoires c’est que les gens, c’est à dire les forces organisées, ont pris conscience qu’il fallait accélérer le processus de démocratisation et c’est là que les principes adoptés en 1975, dans le "livre rouge" comme dans la constitution, sont apparus comme obsolètes et dépassés par l’aspiration des plus larges couches de la population et l’aspiration des forces vives organisées dans le pays comme les syndicats, les églises, les organisations liées à ces syndicats ou ces églises. Des forces se sont manifestées pour pousser plus en avant encore le processus de démocratisation et aller plus vite, parce que plus on tarde à entrer dans le processus de démocratisation plus on retarde d’autant la possibilité d’une solution vers une croissance économique soutenue et stable. Donc tout va de pair: la recherche d’une stabilité politique dans la voie de la démocratisation et la recherche d’une voie de redressement économique vers une croissance soutenue. Donc ça va ensemble: on ne peut pas séparer les résultats attendus des mesures de redressement économique, qui ne peuvent être que la croissance et le développement, et le processus de démocratisation au niveau des institutions, au niveau de la vie publique.

A propos de la montée de la grogne, comme dit un confrère malgache, au sujet justement d’un boycott des prochaines élections législatives et vous qui préconisez un nouveau code électoral, qu’en pensez vous?

Nous avons posé comme condition de participation aux futures élections législatives le changement du code électoral. Nous refusons de participer à toute autre élection si on ne modifie pas ce code.

Maintenant, le ministre de la justice nous a écrit engageant l’ouverture d’une procédure de consultation sur la définition de ce nouveau code. Donc là nous avons gagné.

La grogne, bon, vous faites allusion à la déclaration de M. Resampa qui a fait sa déclaration en arrivant de Paris après plusieurs semaines d'absence, ça c'est une affaire intérieure du Vonjy, je ne peux pas en juger. Ce qui m'a été permis de savoir c'est que M. Resampa a élaboré son communiqué de presse dans l'avion avant de rencontrer le président national et le bureau politique de son parti. Attendons la suite. Qu'est ce qui va arriver? De toute façon il n'était pas dans notre intention d'empêcher qui que ce soit d'être candidat, notre intention c'était d'imposer des nouvelles conditions pour permettre une transition politique, une transformation institutionnelle à travers le code électoral; qu'il n'y ait pas de malentendu là dessus. Si on fait les élections avec ce code électoral on maintient en place la constitution actuelle et le "livre rouge", l'assemblée nationale issue de ce code ne peut être qu'un parlement croupion qui n'a pas beaucoup de pouvoir, l'essentiel du pouvoir étant exercé par le Président de la République au niveau de l'exécutif avec le gouvernement, et avec le CSR l'essentiel du pouvoir législatif est exercé également par le Président de la République. L'assemblée nationale dans les conditions de la constitution en vigueur n'a réellement qu'un pouvoir de ratification, n'a pas l'initiative de texte de loi ou d'ordonnance, n'a pas l'initiative sur la politique essentielle du gouvernement. L'assemblée nationale n'a aucune espèce d'avis à donner sur la nomination du Premier Ministre par exemple; le Premier Ministre est directement responsable devant le président comme chaque ministre, comme chaque CSR.Donc finalement ce sont ces aspects de la constitution, ces aspects de verrouillage du pouvoir dans le concept de la défense de la révolution qui doivent être remis en cause et discutés si nous voulons démocratiser. Il faut terminer la décolonisation qui sépare la population entre les révolutionnaires, organisés dans le Front National pour la Défense de la Révolution (FNDR), et le reste de la population assimilé à des réactionnaires ou à des pro coloniaux parce que ceux qui ne font pas de politique à un moment donné ne peuvent pas tous être taxés dans un pays comme étant favorables à l'ancienne colonisation qui remonte maintenant à 30 ans. Nous sommes indépendants depuis 1960, la majorité de la population malgache a moins de 30 ans. Cette fraction de la population constitue les 60%, donc la majorité. Cette majorité de jeunes n'a pas vécu la colonisation; cette jeunesse vit autrement les relations avec l'extérieur mais pas nécessairement dans les termes de la lutte anticoloniale; cette génération se définit autrement même par rapport à la France.

Par rapport à la France, notre génération a vécu la colonisation, donc nous avons une expérience malheureuse des rapports avec elle, mais il ne faut pas oublier que pendant toute cette période qu'on a appelée révolutionnaire c'est à dire la période de décolonisation où nous avons modifié fondamentalement les rapports avec la France, il ne faut pas oublier, l'état français n'a rien changé dans ses engagements sur Madagascar, il n'y a pas eu de mesure de rétorsion.

Donc si l'ancienne génération a connu l'expérience malheureuse de 1947, ça fait déjà 40 ans;

il ne faut pas croire que ceux qui ont 30 ans aujourd'hui partagent cette même expérience et ces mêmes idées, premièrement; deuxièmement cette nouvelle jeunesse malgache est confrontée à de nouveaux problèmes qui exigent de nouvelles solutions c'est à dire une politique d'ouverture internationale et une politique de démocratisation interne pour faire face à la situation de dégradation que nous connaissons depuis 20 ans.Les services publics sont dégradés, il n'y a plus d'emploi pour la nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail, ils sont au nombre de 200.000 par an. Pour ces gens là, la solution c'est l'ouverture, la recherche d'une nouvelle stabilité politique dans la voie de la démocratisation. Il n'est pas question de les enfermer dans la problématique de la décolonisation qui est maintenant dépassée,qui n'arrive plus à faire le consensus et qui ne fait qu'accumuler des problèmes sans trouver de solution aux problèmes de la société en général.

Une grande fraction de ces 60% de la population malgache a assisté à votre meeting de l'Alliance Démocratique à Ankatso,on s'attendait à un mouvement le 1er mai dernier, il ne s'est rien passé, pourquoi?

C'est normal, il ne fallait pas continuer les mêmes rapports que nous avons eus avec la population au moment de la propagande électorale des élections présidentielles. Qu'est ce qui s'est passé? Après le 12 mars il y a eu une manifestation de contestation au sein de la population. On a organisé des meetings pour expliquer notre position et nos contestations des résultats des élections proclamées par la Haute Cour Constitutionnelle. Il y a eu un temps d'arrêt convenu avec le conseil œcuménique des églises chrétiennes avant l'arrivée du Pape. Donc on a eu une semaine de suspension. Le 1er mai, on a fait un meeting et on a convenu avec les gens qu'ils doivent organiser des Comités de Défense et de Construction de la Démocratie à la base, que ça soit dans les lycées, dans les entreprises, dans les quartiers, à l'université... Donc, là nous marquons un temps de pause pour préparer les militants et les comités de soutien qui existaient avant les élections pour transformer ça en Comité de Défense et de Construction de la Démocratie. Il faut approfondir davantage nos connaissances de la situation concrète, Qu'est ce que les gens veulent? où est ce qu'on peut aller? Et puis partant de là on peut reprendre les meetings: demain déjà il y aura un meeting organisé par les comités lycéens et étudiants...et tous les lycéens seront en grève à partir de demain et ils vont monter aux campus et le campus sera en grève aussi. Là, nous sortons d'une situation de meeting, où les gens sont convoqués pour entendre des discours.. .et nous entrons dans une situation où les gens après des séminaires,après des analyses effectuées en groupe vont s'exprimer eux mêmes; ils vont dire publiquement ce qu'ils souhaitent et nous entrons dans une phase où tous ces comités ont mis en place un conseil, une organisation, pour gérer, pour administrer leur mouvement, donc en quelque sorte pour administrer la grève, et ça va s'étendre dans les quartiers et les usines.

A propos du code électoral: vis à vis des autres partis plus ou moins dans l'opposition est ce que le MFM, l'Alliance Démocratique, ont tait des approches vis à vis de ces partis est ce que vous vous êtes cantonnés on vous même pour soumettre un nouveau code électoral?

Il faut d'abord indiquer la procédure. Selon les conditions de la constitution c'est le Président de la République,président du Front, qui aurait dû convoquer une réunion du bureau politique du FNDR, il ne l'a pas fait; selon les habitudes de gouvernement c'est le Ministre de l'Intérieur qui a l'initiative en matière de loi électorale, ce qui n'est pas le cas. Dans le cas d'aujourd'hui, c'est le Ministre de la Justice, garde des sceaux, qui écrit à chaque parti légalement constitué et demande aux partis de soumettre au gouvernement des propositions concernant les modifications du code. Voilà comment ça se présente.

La réponse de notre part a été de nous ouvrir aux organisations à qui on refuse le droit de s'exprimer là dessus, aussi nous avons tenu une réunion avec le CEADAM, le CNOE, avec le FFKM, avec le SECES. Ce sont des organisations qui se sont intéressés aux opérations électorales et qui ont émis des jugements sur les résultats des élections. Nous avons voulu faire parler ces gens là, les entendre... Ce qui en est sorti? Nous sommes en train d'élaborer un nouveau code électoral, mais nous refusons d'en discuter directement avec le gouvernement tout seul, d'abord parce que ce n'est pas conforme aux textes, il ne respecte pas la loi, le gouvernement ne doit effectuer dans ce genre de travail que le plan technique, le débat politique, la construction du consensus politique se fait au niveau du Front; puisque ce n'est pas respecté, nous estimons que ça se passera dans un cadre plus large qui dépasse le Front. Pour nous, de toute façon, le Front est obsolète, c'est artificiel, ça ne correspond plus à la réalité puisqu'il ne peut même plus se réunir.

Du côté du FFKM, CNOE, ils sont en train d'engager une procédure de large consultation pour dépasser la situation figée du Front. Nous, nous sommes disposés, comme eux mêmes ils étaient disposés à venir à une réunion que nous avons convoquée; là nous entrons dans une phase de maturation d'une situation politique où à l'occasion d'une discussion sur le code électoral tout sera remis en discussion:

la constitution, les élections du 12 mars, la mise en place d'un gouvernement provisoire, ainsi de suite. Pour l'instant, vous ne voyez rien en surface, tous les contacts se font discrètement, les gens se rencontrent, discutent beaucoup et chacun prend position.

En est il de même pour le GPTD?

Le Gouvernement Provisoire de Transition vers la Démocratie GPTD, en malgache GVTD. L'idée est la suivante: il s'agit de faire passer le pays vers un régime démocratique en permettant aux urnes de consacrer ce passage, il ne s'agit pas de faire un coup d'état, il s'agit de trouver un processus qui permet au pays d'entrer sans heurt, sans trop de difficultés, dans cette démocratisation. Concrètement, ça veut dire que les institutions politiques issues du référendum de 1975, qui sont des institutions politiques de défense de la révolution donc de verrouillage du pouvoir, doivent être transformées pour laisser place à de nouvelles institutions démocratiques permettant une alliance par le jeu des urnes, une alternance; parce que dans les conditions de la constitution de 1975 et du "livre rouge" l'alternance n'est pas possible comme dans tout régime qui se réclame du socialisme. Le modèle politique auquel se referait la constitution de 1975 et le "livre rouge" est un modèle des pays socialistes, un modèle de verrouillage, c'est à dire que le chef du parti est aussi chef de l'exécutif et il a en même temps de larges initiatives en matière législative, ce qui est le cas à Madagascar dans les conditions d'aujourd'hui. Pour créer un système d'alternance démocratique nous avons imaginé la mise en place d'un gouvernement provisoire qui préparera la transition, qui définira donc un nouveau code électoral étant entendu que l'assemblée nationale élue selon les modes définis dans ce nouveau code aura de larges pouvoirs constituants. Il ne s'agit pas de créer une nouvelle assemblée constituante mais une assemblée nationale qui aura de larges pouvoirs constituants; il ne s'agit pas que des partis regroupés au sein de l'Alliance ou sous n'importe quelle étiquette définissent unilatéralement un projet de société et l'imposent au reste de la société. Non, on va toujours passer par les urnes pour transformer démocratiquement les institutions du pays et pour faire correspondre le jeu démocratique des institutions au processus de libéralisation économique engagé depuis 1981 où nous avons engagé des pourparlers avec le FMI et la Banque Mondiale.

Donc le GPTD est un organe transitoire où seront représentées toutes les forces vives du pays:

les institutions républicaines, donc l'assemblée nationale qui termine son mandat, les églises, les partis politiques légalement constitués, l'armée ... mais par des personnalités acquises à la démocratisation du pays. Ces personnalités vont définir un nouveau code électoral et organiser de nouvelles élections y compris les présidentielles.

Comment voyez vous le reste de cette année 1989?

On a engagé un processus aux élections du 12 mars, là sont apparus des indices solides qu'il existe des forces, qu'il y a des hommes, des femmes qui aspirent à la démocratie et qui voudraient amener le pays vers des horizons nouveaux et sortir de la situation de médiocrité dans laquelle nous sommes depuis 20 ans. 1989 pour moi c est l'année du débat approfondi dans toutes les directions et à tous les niveaux de la société vers la démocratisation. Le processus qui s'annonce c'est ça, on va vers la démocratisation de la vie politique et c'est seulement après que nous pouvons attendre les conditions d'une croissance économique soutenue et les conditions d'une nouvelle stabilité politique basée sur un nouveau consensus.

Est ce que l'audience internationale du MFM s'est confirmée après le passage du Pape Jean Paul Il à Madagascar?

Nous ne sommes pas une institution religieuse pour attendre une confirmation de notre audience par rapport au passage du Pape. Mais de toute façon le Pape n'est pas seulement le chef de l'Eglise Catholique universelle il est aussi un chef d'état, et en tant que chef de l'église catholique universelle, le Pape, surtout Jean Paul Il, est quelqu'un qui s'occupe beaucoup des problèmes de démocratie et de droits de l'homme en particulier. Dans son pays, la situation de Solidarnosc c'est un peu le fait indirect de Jean Paul Il.

D'une certaine manière Jean Paul Il a cassé le rideau de fer entre Est et Ouest dans le concert politique; en ce moment où il est au Vatican des processus de remise en cause des verrouillages politiques dans les pays communistes s'opèrent que ça soit en Chine au moment où nous parlons ou en Union Soviétique avec Gorbatchev, en Pologne avec la légalisation du syndicat solidarité, en Hongrie avec la mise en place d'un système multipartiste...Donc le Pape pour nous n'est pas étranger à tous ces processus, que ça soit dans les pays communistes d'Europe de l'Est ou d'Asie ou même dans les pays capitalistes d'Amérique Latine.

Donc à l'occasion du voyage du Pape que des débats démocratiques approfondis se soient passés à Madagascar, nous considérons ça comme positifs, pour le Pape lui môme, pour l'église malgache et pour la société malgache toute entière. Nous avons eu l'honneur d'être reçu par le Cardinal Cazaroli qui est le numéro 2 du Vatican, le Pape n'étant pas disponible puisque son emploi du temps était fixé deux mois avant qu'il n'arrive, ce n'était pas possible de trouver un créneau pour que nous puissions le rencontrer. Mais ça s'est bien passé avec le Cardinal. La rencontre a duré 90 minutes et nous lui avons remis un dossier d'une dizaine de pages relatant la situation qui prévaut à Madagascar surtout dans l'axe de la démocratisation, dans la situation de délabrement et de dégradation économique que nous connaissons depuis 2Oans.

On constate actuellement que le MFM côtoie les associations chrétiennes. Jusqu'à quelles limites le MFM peut aller de pair avec le CEADAM par exemple?

Il faut séparer les choses: il se trouve qu'à Madagascar, et c'est dans notre tradition, des activités civiques ont été menées à travers les paroisses; ça a été le fait surtout des églises protestantes sous la colonisation mais, depuis 1975, ce sont les catholiques qui sont les plus militants dans cette direction et qui utilisent les institutions chrétiennes comme les paroisses et les ONG pour s'exprimer sur des problèmes civiques. Donc, sur les problèmes civiques il n'y a pas de limites. Le MPM travaille avec tout ceux qui s'intéressent à l'amélioration de la vie civique, on n'a pas la prétention de monopoliser les activités civiques et politiques dans ce pays. Nous sommes ouverts. S'ils s'arrêtent purement aux activités civiques, ça va; s'ils veulent aller jusqu'au militantisme politique, c'est encore mieux. D'ailleurs au cours de ma campagne électorale, c'est chez les catholiques, parmi les prêtres et les évêques qu'on a rencontré des interlocuteurs pour discuter du programme de manière sérieuse et approfondie: ils étaient curieux, ils voulaient savoir, ils ont demandé à obtenir des exemplaires, ils en ont discuté entre eux et avec nous par la suite. Vous me demandez les limites, je ne serai jamais évêque ou prêtre, ils ne me demanderont pas de l'être, de toute façon chacun dans son rôle nous travaillons pour le pays.

En tant que prétendant au pouvoir à Madagascar, comment le MFM perçoit l'environnement politique et économique international?

Il y a des choses encourageantes, par exemple les discussions en matière de dette, les prises de position. Je suis très heureux que les positions évoluent. Je me souviens en 1981, quand Madagascar était entré dans une situation de cessation de paiement, en ce moment là il n'était pas question au niveau international de parler de remise ou d'annulation de dette, ce n'était pas le problème des chefs d'état des pays riches, c'était celui de la Banque Mondiale et du FMI, ça s'arrêtait là. A présent, ce sont les états, les gouvernements des pays riches qui cherchent et élaborent des solutions et acceptent de plus en plus d'en discuter avec les pays pauvres. Vers les années 1981/1982 pratiquement celui qui parlait d'annulation de dette était considéré comme quelqu'un qui part à l'aventure, qui se met au banc de la société internationale. Les choses ont changé, les gens commencent à comprendre et même les plus durs semblent se rallier à des positions d'adoucissement dans ce domaine. D'ailleurs il apparaît de plus en plus que ce n'est pas tellement la dette en soi qui pose des problèmes. On peut annuler les dettes mais ça n'arrange rien tant qu'on ne crée pas les conditions d'une croissance soutenue et d'un démarrage de l'économie; on ne peut pas s'en remettre entièrement aux conditions internationales, on ne peut pas tout reprocher aux pays riches puisque les conditions de croissance relèvent aussi des conditions endogènes, des conditions propres à chaque pays. Donc c'est à chaque pays de prendre sa responsabilité en matière de mesures économiques et surtout en matière de stabilité politique, de consensus national, de démocratie pour que les gens puissent repartir et que sur la base de ce consensus on retrouve une confiance entre la population et son gouvernement, entre les chefs d'entreprise et le gouvernement, entre les investisseurs extérieurs et le gouvernement. S'il n'y a pas les conditions de confiance, on ne peut pas démarrer la croissance économique. Donc là, il faut faire la part qui nous revient sur le plan national, il ne faut pas baisser les bras sur le plan international; il faut se battre, chercher à se faire comprendre et être honnête: tant qu'on va jouer chacun à cache-cache, il n'y aura pas de résultat, c'est nous les pays pauvres, les pays endettés qui serons perdants en fin de course si nOUS jouons l'enfant sage qui dit bien, oui, oui' mais après on détourne les mesures. Ce n'est pas ça, il faut qu'on soit sincère par rapport à notre peuple, nous voulons la démocratie, nous voulons la croissance économique, et je crois que si nous obtenons cette stabilité politique et un consensus national nous pouvons négocier sur le plan international dans les conditions de confiance.

Après toutes ces péripéties électorales, mouvements etc...que répondrait le MFM si jamais l'actuel chef d'état lui tendait la perche?

Je crois que l'actuel chef d'état a prouvé qu'il n'est pas sur une politique de dialogue mais plutôt sur une politique de verrouillage; la preuve, pour parler du code électoral il devrait nous convoquer à une réunion du Front, il ne le fait pas. Il demande au Ministre de la Justice de nous écrire pour soumettre nos propositions, ce n'est pas une manière de dialoguer ça. Je me demande s'il est capable d'organiser le dialogue au sein même de son équipe, de son entourage direct, au sein de son parti. Il me semble que ce n'est pas le cas. Quelqu'un qui n'arrive pas à faire l'ordre chez lui comment voulez-vous qu'il dialogue avec d'autre ? Ce n'est pas possible. Il n'y a pas de rejet de notre part mais nous nous rendons compte qu'il est incapable de mener une politique de dialogue et d'ouverture. il ne faut pas se faire d'illusion là dessus, Ratsiraka c'est ce qu'il y a de plus intolérant: parce que Monja Jaona s'est présenté contre lui en 1982, il ne voulait plus le voir après, alors qu'il a battu Monja dans les rapports de 80% et de 20%. Il n'a même pas été beau joueur avec ce score. Maintenant qu'il est réélu dans des conditions plus mauvaises et plus fragiles pour lui, ce n'est pas là qu'il va négocier, il a prouvé qu'il ne le peut pas. Je ne sais pas ce qui vous autorise à penser que Ratsiraka est capable d'ouverture, ce n'est pas parce qu'il le dit qu'il le fait, non. La tenue d'amiral pour faire sa prestation de serment au cours de son investiture indique bien que ce n'est pas un chef d'état démocrate qui est là mais un chef militaire qui veut bien user de la légalité du pouvoir qu'il a obtenu dans les conditions que l'on connaît pour se maintenir. Enfin, ce n'est pas du tout le dialogue, c'est plutôt la trique, la crosse. A coups de crosse, à coups de bâton, c'est comme ça maintenant qu'il va maintenir le pays s'il veut se maintenir.

Comment interprétez-vous la venue lors de cette investiture justement de hauts responsables Soviétiques et Nord-Coréens?

Pas seulement Soviétiques et Nord-Coréens, les Français étaient là, les Américains étaient là. Écoutez, dans les rapports d'état à état, les étrangers n'ont pas à s'immiscer dans nos affaires intérieures. Puisqu'il y a une investiture d'un nouveau chef d'état après les élections, c'est normal qu'ils viennent; ça indique tout simplement qu'il existe des rapports entre les états. Ce n'est pas à eux de choisir à notre place; si nous Malgaches nous décidons de changer de chef d'état et de faire une nouvelle investiture, elles viendront ces mêmes personnes, il n'y a pas de problème, ça n'indique rien.

Entretien fait le 7 mai 1989