Le M.F.M prépare la troisième République

Le MFM ne verse pas dans la demi-mesure. On croyait que le dossier transmis la semaine dernière au président de la république et portant modification de plusieurs articles de la Constitution regroupa l'ensemble des propositions de ce parti.  En fait, ce document n’est que très partiel et ne concerne que les suggestions relatives à l’avenir du Front. En sus, le MFM avait élaboré un projet de Constitution long de 18 pages et dans lequel a d’ailleurs été extrait l'envoi destiné au président de la République. Lors d’une conférence de presse organisée hier à l’hôtel Hilton. Mr Manandafy Rakotonirina a présenté publiquement le texte de ce projet dont l'élaboration a certainement coûté bien de nuits de veille aux "Rouges et Experts" les intellectuels du MFM.

Comme la confection d’une telle œuvre ne s’imposait pas, du moins chez les autres partis, le projet de Constitution présenté hier par le MFM constitue le premier document de ce genre qui ait fait son apparition depuis 1975, année pendant laquelle fut plébiscitée par référendum la Constitution de la RDM actuellement en usage. Le texte en tout cas a été adressé lundi dernier au président de la République. Une lettre explicative des plus courtoises a été jointe à l'envoi, et le signataire  Mr Manandafy Rakotonirina s'y déclare "disposé à en discuter le contenu avec tout le monde afin de parvenir à un consensus".

En partant de sa vision de l’évolution historique de la situation politique à Madagascar  le secrétaire général du MFM a expliqué ainsi le caractère urgent de I'élaboration de ce projet: "Sous la Première République, a-t-il indiqué, la Constitution fut critiquée car l’indépendance nationale n’était que purement formelle. Sous la Seconde République (c’est à dire celle du Pouvoir Révolutionnaire depuis 1975), l’œuvre de décolonisation fut menée à son terme et l'indépendance fut pleinement réalisée. Aujourd’hui en 1989 nous affrontons d’autres urgences, dont l’ouverture au marché international et la réglementation des activités politiques nationales. De ce fait un nouvelle Constitution s'impose.

La voici:

Rédigé selon les formes, ave les divisions classiques que sont la préambule, les principe généraux et les divers titres numérotés, ce projet de constitution tel quel peut être mis en application. Les auteurs du texte, semble-t-iI ont été notamment inspirés par le souci de défendre les libertés publiques, la démocratie et les droits de l'homme. L'autre préoccupation majeure qui a guidé leur rédaction est la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ainsi que le contrôle des activités de l'Etat. Pour toutes ces raisons, le projet manifeste une orientation résolument libérale et se rapproche des Constitutions  mises en œuvre dans les démocraties occidentales. En tout cas, si les termes usés sont des plus appropriés, ils répudient toute référence à la Révolution et écartent la phraséologie progressiste. En conséquence, la République Démocratique de Madagascar y devient la "République de Madagascar, "l'Assemblée Nationale Populaire se métamorphose en "Assemblée Nationale Législative", la devise de la République qui est actuellement -Patrie, Révolution et Liberté- est amputée de son élément politique et se transforme tout simplement en Patrie et Liberté. La phobie du progressisme pourrait même purger les Sceaux de l'Etat et les Armoiries de la République de ses images révolutionnaires. En tout cas selon le projet, ces attributs de l’Etat "seront définis par la loi". Toutefois, les éléments indissociables de la République qui témoignent d’une certaine neutralité sont conservés on l’état, comme le drapeau tricolore blanc-rouge-vert et l’hymne national "Ry Tariindrazanay Malala O I," plus patriotique et liturgique que révolutionnaire.

Dans le texte intégral reproduit dans les pages 4 et 5, on pourra utilement réfléchir sur la structure de l'Etat et les attributions des institutions prônées par ce projet de Constitution libertaire. Il est toutefois intéressant de signaler la manière avec laquelle le MFM compte traduire dans le faits l’application du projet Le président de la République désigne les membres d’un comité constitutionnel pour étudier  et approuver les dispositions du projet de Constitution. Ce comité sera composé de tous les partis membres du Front, des représentants des forces économiques, social, culturelles et religieuses les plus influentes, ainsi que des personnalités individuelles ayant des compétences particulières. Lorsque ce comité aura adopté le projet de nouvelle Constitution, le président de la République prononcera la dissolution du Conseil Suprême de la Révolution, de l'Assemblée Nationale Populaire, du Gouvernement et du Comité Militaire pour Ie Développement, Il désignera alors un gouvernement de transition, lequel sera chargé de soumettre la nouvelle Constitution à référendum et se chargera de mettre en place les nouvelles institutions de la République de Madagascar.   Dans un élan de générosité, le MFM accorde à l’actuel président de la République et dans le cadre de son septennat normal (c’est à dire jusqu’en t 994) le libre exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la nouvelle Constitution. Ce qui semble témoigner au moins d’une démarche désintéressée. .

Dans ce schéma tracé de main de maître, le MFM se montre bien sûr de lui, et rien n’est par exemple dit dans l’éventualité d’un rejet du projet de Constitution par le verdict  populaire. En tout cas on louera chez ce parti "d’alternance la persévérance, la ténacité et la logique qu’il démontre dans la quête d’un Gouvernement Provisoire de Transition vers la Démocratie"... L’intimidation dirigée vers le Pouvoir sur la réédition des événements de mai 1972 ayant connu une issue piteuse, la stratégie active des KIAD (Comités pour la Défense de la Démocratie, sorte de cellules qui devaient noyauter la population à la façon bolchevique) fut ensuite mise en branle. Mais la méthode échoua sous les bâtons des forces de l’ordre et en raison de l'apathie du public. Avec une surprenante faculté d’adaptation, le MFM a vite adopté une solution de rechange, et fait miroiter aujourd’hui une Constitution séduisante destinée à recueillir l’adhésion des forces vives"-

Ces dernières étant appelées à agir sur le pouvoir afin de hâter l’avènement de la République de Madagascar.  L’astuce cette fois-ci sera-t-elle couronnée de succès ? On ne le sait. En tout cas, les idées démocratiques et libertaires du MFM continuent leur petit bonhomme de chemin.

Si demain le Front ouvre ses portes aux autres groupements  non encore agréés, il convient de mettre le fait sur le compte notamment de ce parti qui milite sans faiblir pour le rétablissement des libertés publiques.

                                                                            Madagascar Tribune du 05/10/89