S'opposer aujourd'hui à la mise en place des Provinces Autonomes à Madagascar.

Fanantenandrainy Ratsimbazafy.  17, 30 octobre 2000.

I Les Provinces autonomes : la voie vers une présidence à vie.

Si les conseillers des provinces sont élus par le suffrage populaire , le Président du conseil ne l'est pas obligatoirement , il peut ne pas provenir du collège des élus mais tout simplement élu par ce collège. Autrement dit, il n'est pas impossible que celui-ci soit un candidat désigné par une faction ou un homme dont il chargera le conseil d'enregistrer.

Or une simple révision de la Constitution peut permettre de faire élire le Président de la République par le collège des présidents des conseils provinciaux. Lorsque la France a adopté la Constitution de 1958 instaurant la Vème République, le Président de la République était encore élu par un collège de grands électeurs comme il l'a été dans la IV ème. Mais en 1962, le Général De Gaulle a décidé de faire un référendum pour réviser la Constitution à fin de faire élire le Président par le suffrage universel direct.

Il n'y a rien dans cette Constitution qui empêche Didier Ratsiraka de procéder à cette révision s'il veut garder la Présidence à vie et que le suffrage universel direct lui paraît défavorable.

II Une structure peu favorable au progrès du pays.

La première conséquence de la structure des provinces autonomes serait le renforcement du leadership transactionnel par la multiplication des élus locaux munis de compétences ne relevant plus exclusivement du législatif mais élargies à l'exécutif et au judiciaire. Le leadership transactionnel signifie que les élus ne font que représenter les intérêts des groupes qui ont contribué à leurs élections. Ils sont alors en négociations mutuelles permanentes pour aboutir à des compromis entre groupes d'intérêt.

En contrepartie, il y aura un amoindrissement du leadership transformationnel. A partir d'une situation donnée, un pays a besoin d'une transformation pour déboucher vers un projet plus vaste, la somme des parties est inférieure au tout. Faute de cette transformation, le pays sera fortement désavantagé dans le processus général de concurrence entre nations.

L'Etat unitaire allié à une légitimité populaire du Chef de l'Etat constitue un argument indispensable pour cette transformation. Le processus de fragmentation dû aux provinces autonomes qui repose sur l'héritage d'un Président Amiral dont la transformation a été et est plutôt dévastatrice ne fera qu'amplifier la fragilisation de la position de Madagascar comparativement aux nations concurrentes. Le processus actuel ne serait justifié que si la Nation Malagasy est résignée et reconnaît qu'aucun de ses enfants ne pourrait assumer cette tâche; autrement dit, elle ne secrèterait que des personnes potentiellement destructrices à partir du moment où celles-ci ont du pouvoir entre les mains à la grande différence de toutes les autres nations. La question est même de savoir s'il y eût jamais eu une nation qui s'est comportée de cette façon et qui eût survécu.

III La fuite en avant des élites très peu responsables.

Les élites de la société Malagasy ont largement collaboré dans le processus de destruction mené par Didier Ratsiraka. Une majorité de l'élite politique a adhéré à son premier mandat ainsi qu'aux suivants. L'élite intellectuelle a contribué à légitimer les différents textes des périodes successives qui ont permis de raffermir son pouvoir. L'élite financière a largement tiré profit de la confusion qui a prévalu. L'élite militaire n'a jamais su donner une image de neutralité, au contraire, elle a toujours été perçue comme un soutien au régime, prônant le mutisme au moment de parler et faisant parler les fusils lorsque le peuple était dans la rue.

Dans leur grande majorité les élites sont tenues par des rentes, des prébendes. La minorité restante semble vouée à l'impuissance, marginalisée par une paupérisation et une incertitude qui sévissent depuis deux décennies.

Ni moyens de s'opposer pour les uns ni volonté pour les autres , il semble que l'esprit est aujourd'hui de tirer le maximum d'avantages particuliers du processus de fragmentation.

Il y a pourtant une leçon à tirer de l'histoire : une fois que le chef est parti, les conséquences incombent aux collaborateurs et profiteurs en conscience ou par faiblesse ; la vindicte populaire s'acharne sur ces derniers, rarement au chef ni même à sa famille.

Il est évident qu'un grand nombre de "rentiers de la cour" aient compris cela , du moins pour ceux d'entre eux qui ne sont pas naïfs ; ils entament un processus de fuite en avant qui consiste à faire tenir le chef le plus longtemps possible quelles qu'en soient les conséquences pour le pays et la nation malagasy.

IV Le pratique constitutionnelle ne plaide pas en faveur des provinces autonomes.

Les adeptes du consensus mou soutiennent que l'intérêt des provinces autonomes dépend de l'usage qui leur est fait. Tels ces marchands d'armes qui disent que celles-ci ne sont pas dangereuses , les hommes le sont ; les enfant angolais, cambodgiens, vietnamiens et libanais qui ont eu la malchance de mettre un pied sur une mine antipersonnelle peuvent témoigner de la pertinence de cette thèse mais ce qui est certain, c'est que sans la mine ils auraient toujours leurs deux jambes pour les cinquante ans qui leur restent à vivre. La suite n'est que discussion de salons, de comptes bancaires et d'emplois à préserver dont ils seront complètement ignorés et ignorants.

A ceux là, il ne peut pas être nié que la Constitution en tant que texte n'est pas tout, c'est la pratique constitutionnelle qui détermine l'adéquation des textes fondamentaux à leurs finalités. La Constitution est le texte qui organise la répartition des pouvoirs et en régule leur exercice.

Cependant , le tissu politique malagasy, jusqu'à présent, n'a pas montré le bon exemple. Absolument rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que les imperfections des textes seront corrigées par une volonté de bien faire ; les prétendus gardiens de la Constitution ont montré au contraire qu'ils étaient "à la botte "d'une faction, voire d'un homme. Personne aujourd'hui ne peut avancer le nom d'une institution ou d'une personnalité crédible dans ce rôle.

Une Constitution a l'avantage de formaliser le pacte originel liant les membres d'une nation. D'elle découle l'autorité et le pouvoir des dirigeants. Mais elle est puissante à la fois de ce qu'elle exprime et de ses silences. Les chefs d'Etat et autres puissants qui ont usé et abusé des silences d'une Constitution sont nombreux. Le sens de la responsabilité ne permet pas de se retrancher derrière les sempiternelles "on a tout essayé alors pourquoi pas cela?, "tout dépend de l'usage que vous en faites", "izay mahasoa ataon'Andiamanitra". Il faut se garder de telles affirmations car en matière d'essai, les cobayes et les chercheurs ne se sont jamais interchangés ; pour l'usage, ce ne seront pas justement "nous" qui serions aux commande une fois le vote terminé mais "eux" ; enfin en matière politique on ne parle jamais du même dieu certains n'hésitent pas à s'y substituer , du moins à se considérer comme seuls maîtres à bord.

V L'esprit de la Constitution du 18 mars 1998 n'est pas conforme au pacte fondateur de la Nation Malagasy.

Ce texte a été certes adopté par la majorité des suffrages exprimés du 18 mars 1998 mais ces suffrages ne représentent pas la majorité des citoyens malagasy en âge de voter. Ce texte a donc un déficit originel de légitimité.

Ce déficit est aggravé aujourd'hui. Les forces politiques qui y étaient favorables en mars 1998 pour des raisons de politique politicienne se sont rangées aujourd'hui du coté des opposants. Ceux qui ont prêché l'abstention à l'époque s'expriment maintenant clairement contre la mise en place des provinces autonomes, dispositif essentiel du texte. Beaucoup de membres de la société dite "civile" ont exprimé leurs craintes.

Malgré tout, le pouvoir exécutif impose une marche forcée sans que les autres pouvoirs et la Haute Cour Constitutionnelle n'émettent ne serait-ce qu'une réserve.

Se retrancher derrière la légalité est aujourd'hui dérisoire étant donné l'importance de l'enjeu. En effet, ce qui est légal n'est pas forcément légitime. La légitimité est la source réelle du pouvoir politique et tout ce qui lui est étranger relève de l'usurpation. Or la légitimité est de l'ordre de la croyance, du sentiment, elle n'est pas absolue et serait installée une fois pour toutes après un referendum. En cela, elle nécessite une prise en compte permanente des sentiments populaires, des signes d'inquiétude, d'approbation ou au contraire de désapprobation.

Aujourd'hui le peuple malagasy montre clairement au moyens de changements d'opinions et de topologie politique relatives à ce texte que la force utilisée par les tenants du pouvoir pour l'appliquer est perçue comme une violence injustifiée.

S'il est déjà assez tard pour revenir en arrière, il est encore temps d'éviter un désastre ; si culturellement, certains ne peuvent surmonter la honte d'un échec personnel, alors que d'autres prennent la responsabilité d'inverser la vapeur par leur combativité. Reculer devant un combattant résolu est toujours plus honorable que celui de reconnaître ses erreurs devant des adversaires préférant systématiquement le compromis et la fuite.

VI Antananarivo et Antsirabe : la voie vers l'enclavement.

Il est étonnant de voir que les représentants de la région d'Antananarivo affirment à la fois être préoccupés de l'avenir de leur région et dans le même temps s'empressent de présenter celle-ci comme favorable aux provinces autonomes. Pourtant, privée de littoral et de fleuve navigable , cette région est potentiellement enclavée. Elle est vouée à une mort économique certaine. La plupart des pays enclavés connaissent des conflits de voisinage sauf la Suisse et le Luxembourg qui ont d'excellentes relations avec leurs voisins qui eux ont des infrastructures de communication développées. Il n'est pas du tout certain que la province d'Antananarivo dont le région d'Antsirabe veut déjà se séparer s'entende avec ses voisines. Les voies aériennes coûtent beaucoup plus cher que celles maritimes surtout lorsque l'état de développement oblige l'ensemble du pays à se doter de biens d'équipement donc de biens pondéreux où le poste de coût est dominé par le transport. Globalement, tous ce que peuvent faire les régions d'Antananarivo et d'Antsirabe sont faisables par les cinq autres provinces alors que l'inverse est fausse. L'équilibre actuel n'a été préservé que parce qu'il y a eu un partage de travail implicite ; une fois que chaque province peut faire ce qu'elle veut indépendamment des intérêts des autres et de l'ensemble, la concurrence sera très défavorable à celles du centre ; les avions long courriers n'atterrirons plus qu'à Ivato, mais le navire pétrolier et le porte container ne remonterons jamais le Betsiboka pour débarquer en Imerina. Le seul est vrai avantage de l'Imerina, c'est une concentration démographique proche de la masse critique du développement industriel, mais il sera neutralisé par un enclavement et rien n'empêche les autres provinces de développer une politique économique apte à attirer la main d'œuvre, elles auront juste à transférer les économies du transport et de risques afférents sur les coûts salariaux.

D'aucuns objecterons que c'est beaucoup plus complexe que cela et que le raisonnement est des plus simplistes puisque se restreint à l'économie. C'est justement pour cela qu'il faut l'exprimer car que dirons de nous nos descendants si nous n'avons même pas vu des choses aussi simples malgré nos "brillantes études"? ; nous pouvons même affirmer que nos dirigeants sont trop souvent "passés à coté" de choses simples pour que les simples citoyens se doivent de se montrer vigilants.

Fanantenandrainy Ratsimbazafy.

17, 30 octobre 2000.