Bonjour,
Revoici Jean et une partie de son histoire personnelle intimement liée à
Madagascar. Loin, ou plutôt s'éloignant des grandes idées générales et
devenant plus humain (à mon sens). Jeunesse d'esprit face aux "jeunes déjà
vieux" tenants de l'action à tout prix, qui n'en finissent plus de pédaler
dans la mélasse avant d'y perdre leur âme. Les propos de Jean me rappellent
ce qu'un historien (John Iliffe rapporté par Philippe Engelhard) avait écrit
: "La souffrance se trouve au coeur de l'expérience africaine et semble
l'emporter sur celle des autres continents".
Bonne lecture.
Mamy
---- début de message ----
Bonjour Mamy,
Je pourrai te répondre que je n'ai aucun discours écrit et encore moins ceux et celles
qui m'ont précédé depuis la nuit des temps sinon depuis des temps immémoriaux. Tout ce
que j'ai dit, je l'ai porté dans mon coeur parce que je l'ai vu, je l'ai expérimenté.
Je ne fais que paraphraser mes frères amérindiens en disant cela. Je n'aspire pas aux
feux de la rampe ou quand je me vois envier cela, je me trouve moi-même en train de me
punir. Une sensation intolérable.
Pourtout dire en peu de mots, il a fallu toutes les années que j'ai laissées derrière
moi heureusement ou malheureusement pour arriver enfin à dompter tout cela. Je suis
entré comme tant d'autres, j'imagine, par accident et malgré moi dans la
conscience de ce qu'est vraiment le monde de la politique à Madagascar et par extension
celui du monde entier. J'ai choisi depuis longtemps la "lâcheté" (comme
certains le disent) par la fuite en avant que la gloire de la mort par l'immobilisme et
par la cécité obligée. Quelqu'un que je respecte beaucoup et qui a bien du
courage ne cesse de me dire qu'il y a très peu de corrompus à Madagascar, il n'y a que
des gens qui, chaque jour que ce dieu dont on parle tant les vertus fait, essaient de
survivre tant mentalement que physiquement. Il n'est pas très loin de la réalité. Je
n'ai aucun problème à le croire car il vit la-bas, moi non. Madagascar a encore beaucoup
de gens qui n'essaient pas seulement mais arrivent à faire beaucoup avec très peu. Par
contre, et il ne faut pas oublier que dans ce même pays, il y a des gens, une minorité
bien salissante je dirai, qui font très peu avec beaucoup. Le problème est
certainement le fait que le beaucoup obtenu par la facilité (d'ajustement structurel?)
n'apporte pas nécessairement l'appréciation du résultat. Parallèlement à ces
derniers, il y a des gens qui pensent pouvoir batir quelque chose de durable sur des
ruines.
Cestrois forces occultes sont en train de se positionner à Madagascar. Le danger, c'est
qu'à force de jouer au chat et à la souris, on finit par oublier qu'il y a autre
chose de plus palpitant, de plus valorisant et de plus épanouissant que ce jeu qui
ne permet en aucun cas de savoir avec certitude comment l'autre se sent.
Et quand on ignore à tout bout de champ comment l'autre se sent alors qu'on cohabite par
la force des choses, les choses ne vont pas en s'arrangeant.
Brice disait "qu'il faut se battre sur le terrain au lieu d'attendre des
garanties". J'ai fait plus de dix ans de terrain au pays avant de prendre la galère.
Et cela date du temps où ce n'était point facile de le faire tant
émotionnellement que matériellement, mais je l'ai fait. C'était aussi du temps où tout
le monde (la deuxième catégorie citée plus haut) parlait de grands projets et en
discutait dans une salle de réunion. Aux terrains à Madagascar, je dois ajouter en toute
modestie ceux que j'ai fait en Afrique centrale et australe. Ah, les belles années!...
Mais si c'était à refaire, thanks but no thanks! J'ai passé des nuits blanches à
éplucher des idées avec cet inconnu et incompris jusqu'à ce jour d'Amboanio (paix aussi
à son âme) qui pouvait livrer la cimenterie dont le pays avait besoin avec 1/10
sinon moins du cout d'Ibity. Et ce n'était pas un reve, encore moins une illusion. C'est
plutot Ibity qui était le mirage. L'histoire ne ment pas. Le gypse qui devait etre
transporté d'Amboanio à Ibity avait, j'imagine, hanté certains habitués des grandes
théories. J'ai vu les résultats de la décision d'embaucher des Italiens célibataires
pour construire des routes quelque part entre Antsohihy et Bealanana. Pensez-vous
que cela a fait le bonheur des hommes de la région? Il est vrai que le choix des Italiens
est judicieux car ils ont la main pour construire des routes, mais des Italiens
célibataires dans une région qui n'a jamais vu autant de "vazaha" avec
des moyens débarquer dans leur coin... Vous dynamitez la grosse pierre pour qu'elle
s'enlève du chemin, le lendemain elle se retrouve à la case de départ. Et la rumeur
circule plus vite que le vent: les "avelo" font parler d'eux ou d'elles pour
retarder la construction de la route sur toute la ligne. Le résultat, vous perdez
l'économie d'argent que vous avez pensée faire dans la salle de réunion, car les
Italiens célibataires coutent peut-être moins mais plus tellement (interet et services
de la dette compris) quand un projet de 6 mois traine sur 24 mois.
Le "se battre sur le terrain" alors, on peut conter cela à d'autres... Je ne
sais pas non plus de quel terrain on parle car, plus souvent qu'autrement, les
habitués des salles de réunion descendent bien sur le terrain pour une incursion pre ou
post campagne de qq chose de moins de 12 heures. Pensez-vous que les réalités d'un
endroit bien donné peuvent être comprises dans ce laps de temps, même si cela se
repète 2 à 3 fois l'année?
Concernant les dirigeants du pays, si la desaffection croissante de la masse de
l'electorat n'est pas un signe de desaveu de la classe politique et une requete
silencieuse pour son renouvellement, je ne sais pas qu'est-ce qui peut exprimer cela de
manière claire et nette...
Je vous dis, les amis, les dieux de Madagascar sont certainement tombés endormis quelque
part. Il faut commencer à les chercher et à les secouer pour qu'ils se réveillent. Pour
ne pas dire, leur donner un coup de pied dans le cul... car cela risque de froisser les
tendres oreilles.
Je pense que j'ai assez parlé.
A la prochaine!
Jean Razafindambo
---- fin de mesage ----