La nécessaire reconstruction de l'Etat.

Madagascar est aujourd'hui tiraillé entre le choix du court terme, suggérés par l'urgence, les théories libérales qui préconisent le minimum d'Etat, et du long terme qui suppose une vision résolument tournée vers l’avenir où il est nécessaire de se doter de structures solides et pérennes, capables de continuer l'unification du pays et de sauvegarder cette unité. L'Etat est un des instruments capables de venir à bout des missions essentielles que le pays malgache doit accomplir mais d'invention occidentale, il a été importé sur la grande île comme dans d'autres pays par les européens ou par des rois qui voulaient se doter d'un organe de gouvernement efficace. Il s'agit de l'Etat moderne car des structures existaient déjà auparavant.

Il semble cependant que les dirigeants de l'après décolonisation n'aient pas compris le sens du travail commencé par les rois malgaches, dont Andrianampoinimerina mais également des rois du Sud-Est et de l'Ouest malgaches, n'oublions pas que Andrianampoinimerina a fait appel aux Antaimoro pour asseoir son pouvoir car ils étaient les seuls malgaches érudits de l'époque. La construction de l'Etat qui a commencé vers la deuxième moitié du 18éme siècle et qui a continué pendant la période coloniale s'est arrêté brusquement au début des années 1970. Alors que tous les royaumes du 18ème siècle et du 19ème siècle poursuivaient l'unification du pays en se dotant de structures et de cultures unificatrices, les dirigeants des années 1970, tous formés à l'école moderne n'ont pas jugé nécessaire d'attribuer à ce travail séculaire les mérites qui aurait dû lui revenir.

Les conséquences sont aujourd'hui catastrophiques et menacent l'unité du pays car certains préconisent le fédéralisme et obtiennent de plus en plus de voix alors que la fédération concerne des Etats séparés qui conviennent de s'unir en mettant une partie de leurs souveraineté en commun ; aucune fédération au monde n'est partie d'un pays unique pour s'éclater ainsi, mis à part le cas des pays d'Europe centrale que l'on a obligé de s'unir pour des raisons géostratégiques après les deux guerres mondiales. Si le projet de fédération aboutissait à Madagascar , ce serait une première dans l'histoire de monde moderne et une fois de plus, le peuple malgache aurait servi de cobaye à quelques personnes en mal de reconnaissance car, alors, les conflits armés, jusqu'ici évités grâce à l'inexistence de frontières et à l'impossibilité de constituer des armées structurées, auront tout pour surgir : des frontières, des Etats autorisés, ou qui s'autoriseront, à constituer chacun leurs armées, ce qu'aucune constitution n'arrêtera car les dirigeants malgaches n'ont jamais su faire la différence entre les règles constitutionnelles et les règles des jeux des cours d'école où les plus forts interprètent les règles, les font et les défont à leurs guises, ce ne seront certainement pas les événements de ces derniers mois qui le démentiront.

Mais se résigner à la destruction n'est pas la vocation de la personne politique et donc il faudrait rechercher les moyens de relever le pays en faisant un diagnostic et en proposant des remèdes. La désaffection envers l'Etat vient de son incapacité à résoudre les problèmes de la société malgache actuelle, et on ne voit pas comment il le ferait dans le futur dans la situation où il se trouve, pour le réhabiliter devant un peuple inquiet pour son présent et surtout pour son avenir, il faut le reconstruire.

La déliquescence de l'Etat a conduit à la dégradation de l'ordre public qui est la cause de l'effondrement de l'économie. La nécessaire reconstruction de l'Etat passe donc par un redéploiement du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.

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I la déliquescence de l'Etat a conduit à la dégradation de l'ordre public qui est la cause de l'effondrement de l'économie

IA Le délabrement de l'Etat est dû à une décentralisation prenant l'allure d'une croisade anti Etat aggravée par l'incapacité des responsables politiques et administratifs à prendre conscience du rôle clef de l'Etat.

La décentralisation a été menée comme une croisade contre l'Etat.

Depuis 1972, la décentralisation s'est traduite par la mise en place des collectivités décentralisées dont le composant de base est le Fokonolona, une commune populaire. Ce concept se voulait être à l'image du Fokonolona du Roi Andrianampoinimerina. Une structure similaire mais plus moderne existait auparavant pendant la période Tsiranana. C'est le Colonel Ratsimandrava qui a voulu la restaurer dans un mode plus traditionnel. Son idée était de renforcer le pouvoir populaire en lui transférant une partie du pouvoir étatique. L'idée fut séduisante à une époque où le courant "populariste" déferlait sur le monde. Elle était sous tendue également par le sentiment que le pouvoir centralisé dans la capitale n'arrivait pas à s'occuper des périphéries et ne s'occupait que d'Antananarivo. La réaction contre une administration dominée par les Merina et les Betsileo n'y est également pas étrangère.

Ces collectivités son gouvernées par des élus qui ont en charge l'élaboration d'un budget et la programmation des travaux nécessaires à la vie collective. Le contrôle des comptes y est quasiment inexistant et lorsque cela existe, le service chargé du contrôle n'a pas de pouvoirs suffisants. En réalité la transparence des comptes dépend pour une large part de la probité des élus.

Les intérêts des élus divergent de ceux de l'Etat.

La priorité des élus étant la fidélisation de son électorat, ils n'auraient aucun intérêt à programmer des travaux de longue haleine ou des projets impliquant des contraintes vis à vis des membres de la collectivité. C'est ainsi que les voies de communications telles que les routes et les chemins vicinaux, ainsi que les adductions d'eau se sont vite dégradées . D'abord les fonds sont insuffisants car les élus n'osent pas lever les impôts nécessaires, ensuite ces voies sont souvent communes entre villages voisins et se posent alors le problème du partage des responsabilités.

Enfin , il faut garder à l'esprit que dans la culture traditionnelle malgache sur laquelle repose les relations sociales, l'altruisme n'est pas une valeur acceptée ; "mitatatra hoan'dRainilezafy" est une qualification péjorative attribuée à une personne qui travaille pour les autres ou ses suivants et si l'on s'en tenait à la signification primaire des termes les suivants sont les générations futures. De même la philosophie traditionnelle malgache où l'attente de la mort prend une place importante ne lui permet pas d'envisager de plus long terme que sa propre vie. C'est pour cela que ni les voies d'eaux ni les routes ne sont construites ni entretenues car ce qui importe c'est le temps qu'il reste avant le prochain coucher du soleil. Les forêts sont incendiées sans vergogne car demain c'est trop loin et replanter est très difficile car un arbre met trente ans avant de pouvoir être exploitable, et on a bien le temps de mourir avant. Cette mentalité ne se limite pas seulement à la population campagnarde, elle est également présente, et même plus forte encore, chez la population dite éclairée, il suffit de voir comment les dirigeants de ce pays, qu'il soient dans la politique, l'administration ou les affaires se comportent pour s'en apercevoir.

Le mauvais comportement des hauts responsables politiques et administratifs a considérablement entamé le crédit de l'Etat.

L'Etat a souffert du comportement des hauts responsables politiques et administratifs malgaches. A aucun moment, il n'est apparu un sens de l'Etat assez fort pour le défendre contre les attaques de tous bords. Certains responsables politiques ont confondu les responsabilités administratifs de l'Etat avec les responsabilités au sein de leurs partis. L'exemple du ministère de la culture est ainsi révélateur. Dès sa nomination , le ministre de la culture de Ratsiraka, Gisèle Rabesahala a tout simplement nommé tous les cadres de son parti dans son ministère, plus exactement, la grande majorité des cadres et des employés de son ministère venait de l'AKFM-KDRSM présidé à l'époque par Richard Andriamanjato, lui même membre du Conseil Suprême de la Révolution de Ratsiraka; la permanence de se parti pouvait mieux se tenir au Ministère de la Culture à Isoraka qu'à son siège d'Andravoahangy. La mission culturelle de ce ministère s'était vite confondue avec l'idéologie "soviétiste" de l'AKFM-KDRSM ; C'est certainement une des causes du délabrement du patrimoine culturel malgache. Le ministère de la culture n'est qu'un exemple parmi d'autres car dans d'autres ministères, l'AREMA du trio Ratsiraka, Razakaboana et Rakotoarijaona a aussi fait des ravages. En retour, les responsables administratifs nommés par leurs partis n'ont d'autres soucis que de servir les intérêts des membres de leurs partis sous peine d'éviction.

Par ailleurs, les actions de dénonciation médiatisées de la part des chefs d'Etats successifs ont entamé la confiance des fonctionnaires. Ainsi Ratsiraka n'a pas hésité à se substituer aux organes de contrôle pour sanctionner les dirigeants de la SOMALAC et du FIFABE. Si les faits étaient manifestes, il appartenait aux organes de contrôle des ministères de tutelle de les sanctionner en faisant le discernement entre les fautes professionnelles et l'incompétence. En réalité il n'a démontré qu'une chose : le pouvoir de sanction appartenait à une personne - en l'occurrence le Président de la République-, mais non à un système désincarné, pour y échapper, il suffisait donc d'avoir de bons rapports avec le Président ; du coup, le monde se divisait en deux parties, ceux qui étaient dans le camp du pouvoir pouvaient faire ce bon leur semblaient impunément, ceux qui n'en étaient pas n'avaient aucun intérêt à prendre des initiatives.

De même lorsque Ratsiraka faisait contrôler les services des Douanes de l'aéroport international d'Ivato par le DGID, qui était une police politique à ses ordres, non seulement il a créé la confusion mais en plus a démotivé les employés de la Douane largement plus compétents ; en même temps il a étendu le pouvoir des hommes du DGID qui n'hésitaient pas à user d'un pouvoir incontrôlé pour se livrer à des malversations. Sur ce point Zafy n'est pas en reste puisqu'en 1993, il n'a pas hésité à venir à Tamatave dans le but d'y déshonorer le directeur des Douanes de l'époque et a emprisonné sans autres formes de procès les directeurs du Trésor. Etant donnée l'origine Merina et Betsileo de la plupart des tenants de ces postes, ses actions ont plus pris l'allure d'une chasse au sorcières avec l'intention de placer les parents, ou amis, de Zafy que d'une volonté de corriger le mauvais fonctionnement des services. D'ailleurs , Zafy n'a pas daigné supprimer la DGID, au contraire, il l'a fait chapeauter par Serge Zafimahova , son neveu.

Parallèlement, la structure sociologique de la haute société malgache est perverse. Il arrive souvent que les hauts responsables sont des membres des quelques grandes familles qui gouvernent le pays. Souvent une seule famille possède simultanément un membre dans la haute fonction publique de l'exécutif ou du judiciaire - quelquefois les deux -, un deuxième officier supérieur de l'armée, un troisième dans les hautes responsabilités des églises chrétiennes - pasteur ou prêtre des paroisses d'Antananarivo - le reste dans les affaires ; il en résulte que les délits des uns soient systématiquement absous par les autres. Il faut ajouter à cela le poids des groupes d'intérêts, de l'élite qui se retrouvent dans les groupements mondains dont les plus connus sont le Lion's Club et le Rotary Club.

Pour autant, les fonctionnaires malgaches ne sont pas tous à la solde des partis ou de l'argent. Beaucoup sont restés probes et ont constamment travaillé avec conscience. Mais c'est la plus terrifiante des paradoxes : ceux-là justement parce qu'ils ont accompli leurs tâches honnêtement ont perdu tout pouvoir. En effet, parce qu'ils sont restés honnêtes, ils sont devenus économiquement plus pauvres que les autres et à une époque où le prestige se mesure à l'aune de l'argent, ils ont vite perdu tout pouvoir. Ils ont également perdu leurs attaches sociales car étant honnêtes, ils ont perdu des "amis" dans certains cas des "parents" ils ont donc de moins en moins d'appui dans une société où les liens sociaux sont primordiaux. Leur avenir est encore plus sombre car ayant servi l'Etat pendant toute leur vie, leurs droits à pension ne leur suffiront même pas pour boucler leurs mois. Il ne s'agit pas ici de distinguer les niveaux hiérarchiques car les situations sont comparables pour l'ensemble de cette population et rares sont ce qui peuvent envisager une vieillesse tranquille grâce aux services rendus à l'Etat. Il est clair que cette question est centrale pour l'avenir de la société malgache car elle ne peut laisser perdurer une telle ingratitude sans en subir les conséquences.

IB L'affaiblissement de l'Etat a provoqué le délabrement de l'ordre social et par ricochet l'effondrement de l'économie.

L'absence de contrôle a entraîné la corruption du système à tous les niveaux.

L'Etat est l'organe de pouvoir chargé de veiller aux intérêts de la communauté et non de ceux de ses membres ; la communauté est donc censée lui avoir délégué le monopole de la contrainte légitime. Mais l'intérêt de la communauté ne va pas sans limitation de la liberté de chacun qui est tenu de se conformer à la loi même si l'Etat doit recourir à la contrainte. L'Etat a donc une mission de contrôle de la légalité et notamment de la légalité des actes de ses représentants mêmes, c'est-à-dire des fonctionnaires pour les actes administratifs et des élus pour les actes politiques.

Or cette mission de contrôle présente des défaillances car les services chargés du contrôle interne n'ont que des pouvoirs limités ; c'est ce que démontre en tous cas l'existence de malversations et prévarications en tous genres. Il est clair en effet, que les pouvoirs de ces services se limitent à la volonté du pouvoir politique et notamment du ministre. Que l'on ne puisse prouver la culpabilité du ministre ou de tout autre haut responsable politique ou administratif n'est pas essentiel car ce n'est pas le gage de leurs innocences. Ce sont en effet les seuls qui détiennent assez de pouvoir pour organiser et encourager le contrôle, veiller à ce que certaines enquêtes aillent jusqu'au bout et surtout ne laisser dans leurs comportements aucune faille qui puisse laisser deviner la moindre des complaisances vis à vis de la corruption ou - pire! - qui puisse laisser deviner qu'ils prennent part directement ou indirectement à une malversation.

Il semble en effet que si la corruption est généralisée, elle a commencé au plus haut niveau du pouvoir et a bénéficié d'importantes complicités ; et c'est de cette façon là qu'elle s'est propagée vers le bas car les petits ont pris exemple sur les grands. Du coup, le système s'est complètement corrompu de haut en bas car les services de contrôle internes ne pouvaient pas réprimer longtemps les malversations du bas de l'échelle tout en étant complaisants avec celles perpétrées par en haut. D'autant plus que les sommes en jeu n'ont aucun rapport, en bas c'est pour arrondir les fins de mois difficiles tandis qu'en haut c'est l'enrichissement avec des sommes colossales.

La carence de la justice a débouché sur l'insécurité totale.

La corruption a bien entendu atteint le système judiciaire. Il est notoire à Madagascar que dès lors que l'on s'en remet à la justice, les voleurs sont acquittés parce qu'ils peuvent payer et le volé se retrouve avec une vengeance sur le dos en plus de la perte de ses biens. La carence de la justice est telle à Madagascar que plus personne ne lui fait confiance. Le résultat est une véritable catastrophe car d'une part le délit impuni l'encourage et c'est ainsi que le brigandage s'est développé de façon vertigineuse ; d'autre part, les gens veulent se faire justice eux-mêmes et l'on assiste à la régression du droit car c'est le retour de la vengeance privée. Le droit a justement avancé parce que le règlement des conflits est devenu le monopole de la justice surtout lorsqu'il s'agit de réparer les dommages.

En somme l'insécurité est totale car les délits sont impunis donc sont en hausse , ce qui n'encourage personne à produire ou à construire puisque la propriété privée n'est pas garantie ; et de surcroît n'importe quel citoyen est à la merci d'une vengeance personnelle sans passage par la justice donc sans possibilité de défense. Il est d'autant plus étonnant que certaines personnalités prônent le renforcement des droits locaux - plutôt les coutumes - , les dina et autres, pour pallier le manque de justice. Si l'on tombait dans ces travers, c'en serait fini de l'unification du droit et les conséquences seraient inimaginables pour Madagascar. Il n'y aura plus en effet de sécurité juridique car le droit ne sera plus prévisible ; il suffira de changer de hameau pour remettre en question les termes d'un contrat ou l'autorité de la chose jugée. A ce stade, l'insécurité ne sera plus informelle, elle sera tout simplement institutionnalisée. C'est le plus grave danger qu'à institué Ratsimandrava, et par la suite Ratsiraka, lorsqu'ils ont attribué au Fokonolona des pouvoirs juridiques qui ne pouvaient être assumés dans les limites du droit de la personne. Il ne faut pas perdre de vue également que la sécurité juridique est un des critères d'appréciation expresse des investisseurs étrangers, et certainement des nationaux bien qu'ils ne l'aient pas exprimée de façon formelle.

L'effondrement économique s'en est suivi tant pour l'espace rural que pour l'espace urbain.

Dès lors que l'insécurité règne, les personnes vivent dans l'angoisse permanente quant à leurs vies et celles de leurs proches, leurs biens ne sont pas en sécurité, que ce soient les biens présents, ou les biens futurs dans les villes ou dans les campagnes.

Dans les campagnes, le brigandage est très présent ; les brigands sont armés et forts d'une impunité assurée. Les paysans ne n'ont plus la sérénité nécessaire car ils sont menacés à tous moments. Ils peuvent planter mais ils ne sont pas assurés d'en être les moissonneurs car souvent, les brigands récoltent les fruits de leurs labeurs la nuit précédent le jour de la récolte ; les éleveurs constatent souvent le vol de leurs animaux après des mois ou des années d'efforts. Lorsqu'ils arrivent à récolter eux mêmes, ils ne sont pas sûrs de ne pas se faire dévaliser sur les routes, lorsqu'ils vont les vendre, ou au retour, et même chez eux. Par conséquent, les producteurs limitent leurs ambitions, n'envisagent plus l'extension de leurs productions au delà de ce qui leur est suffisant ; il y a même une diminution des surfaces cultivées puisque seuls sont en relative sécurité les champs à proximité des villages ou les fermes qui ne sont pas trop isolées - c'est à dire distants de moins de quelques dizaines de mètres ou quelques centaines de mètres du village. Alors qu'il y a une ou deux décennies, la conviction était faite qu'un des freins à l'expansion économique de Madagascar était son économie de subsistance, il y a de quoi être perplexe quant à l'avenir car il est certain que le mot subsistance est actuellement discutable à bien des égards.

Pour ce qui est de l'espace urbain, le vol par effraction ou autres délits sont choses courantes à tel point que l'on ne sort plus après le coucher du soleil et l'on ne construit plus loin de la ville car on risque une descente de bandes armées. La population vit sous tension et ne peut plus avoir confiance aux forces de l'ordre. Mais l'insécurité va beaucoup plus loin , aucune entreprise n'est épargnée par l'insécurité dans le pays ; les entreprises de réseaux comme la JIRAMA et Telekom Malagasy voient régulièrement leurs pylônes métalliques abattus parce que les voleurs prennent le fer et surtout le cuivre pour les revendre aux fondeurs car ces matériaux coûtent très cher sur place. Ces entreprises choisissent donc de répercuter cela sur les prix en faisant directement monter les tarifs comme le fait la JIRAMA mais aussi en faisant le choix de technologie sans fil comme les entreprises de télécommunications, sachant que de telles technologies coûtent très cher sans beaucoup de valeur ajoutée pour l'économie malgache. De même , les services de voiries voient tout ce qui est en fonte disparaître ; ainsi tous les couvercles des égouts ont disparu et il est très dangereux de se promener à pied dans les rues d'Antananarivo car on risque la noyade. Il est vrai que les services de police ne sont pas les seules solutions à cela car des solutions économiques résoudraient une bonne partie du problème. Il faudrait par exemple développer les tréfileries et les fonderies de manière à n'importer que les lingots de fonte ou de cuivre. Cela abaissera de façon importante le rendement marginal du vol de matériaux transformés car les commanditaires du vol n'ont pas besoin de fil de cuivre mais de cuivre brut, ni de couvercles en fontes mais de matières brutes alors que les chutes de lingots valent largement moins cher que des fils déjà installés. Mais il est vrai que des entreprises comme France Câble et Radio, actionnaire important de Telekom Malagasy, ne peuvent pas envisager de tels investissements qui sont du domaine du long terme.

On voit donc que l'insécurité est en train de plonger le pays dans la spirale de la misère car l'insécurité alimente les difficultés économiques qui à leur tour alimentent l'insécurité. Pour stopper le mouvement, il faudrait que l'une des parties, le politique ou l'économique prenne la décision de trouver des solutions chacun de leur coté ou le prennent ensemble. Le politique peut choisir l'autorité et punir sans pitié les délinquants, l'économique peut choisir d'instaurer la prospérité de manière à ce que voler ne soit plus une entreprise rentable. On devine sans difficulté qu'il est vain de punir des voleurs lorsque voler a un rapport marginal intéressant même en tenant compte des sanctions pénales éventuelles et qu'il est vain de demander aux entreprises de produire assez pour que le vol ne puisse plus être rentable car le système économique actuel pénalise impitoyablement celles qui sont peu rentables financièrement.

Le devoir de l'homme politique est sans conteste de faire le premier pas pour casser la spirale de la misère en espérant que la confiance sera restaurée pour démarrer l'économie. Pour cela, la réforme de l'Etat doit se faire en profondeur en installant des structures de transmission de pouvoir durables et ériger ainsi un Etat fort, capable de conduire durablement le pays vers un développement global.

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II La nécessaire reconstruction de l'Etat passe donc par un redéploiement du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.

L'Etat doit asseoir son pouvoir sur un réseau de préfectures aux pouvoirs délégués élargis servant d'appui fiable au pouvoir exécutif, et d'un réseau de tribunaux qui renforceront le pouvoir judiciaire afin d'instaurer et de pérenniser l'Etat de droit.

II A l'exécutif doit se déployer au moyen du réseau de Préfectures.

Le Préfet responsable locale de l'ordre public.

Le préfet est le représentant du gouvernement sur le département, ou la région, où il est nommé. A ce titre, il y est le garant de l'ordre public. La sécurité du citoyen est sous sa responsabilité. Il doit donc avoir la responsabilité de la mobilisation des forces de police locales, urbaines et interurbaines. La proximité du préfet lui permettra d'optimiser les moyens de prévention disponibles et la responsabilité sera beaucoup plus directe. Son statut lui permettra également d'obtenir plus facilement les moyens auprès de son ministère de tutelle.

En ce qui concerne les risques liés aux phénomènes naturelles, les pouvoirs du préfet lui permettront également d'engager tous les moyens de prévention qui relèvent de l'urgence et aussi ceux qui relèvent du long terme. Il est en effet déplorable de constater tous les ans depuis des décennies des inondations dans les mêmes lieux, des incendies de forêt dans des endroits connus toujours aux mêmes périodes de l'année. Certaines parties de l'île sont des zones à risques et cela est connu depuis longtemps sans que des projets de long terme soient entrepris. L'utilité du préfet est donc de représenter la continuité du pouvoir de l'Etat et veiller à ce que ces projets continuent jusqu'à la réduction des risques.

Le Préfet comme contrepoids au pouvoir des élus.

Par ailleurs, le préfet sert de contrepoids aux élus. Il faut en effet contrôler la légalité de toutes les décisions de ces derniers et veiller à ce que leurs projets n'aillent pas à l'encontre des principes fondamentaux de la république. En effet, le piège du populisme est réel, et les pouvoirs électifs ne sont souvent qu'artificiels. Les élus sont souvent des notables, des Ray aman dReny et des Chefs, qui dirigeaient déjà leurs communautés avant les élections ; celles ci ne sont alors que l'officialisation d'un système de pouvoir informel. Leurs appartenances à des partis politiques n'ont souvent aucun sens car ils appartiennent souvent à celui qui va être élu. Inversement les partis politiques, souvent celui qui a le pouvoir présidentiel, les engagent pour se faire connaître et se faire élire.

La vertu n'est pas alors d'organiser des élections libres, elles ont toujours existé à Madagascar depuis 1960, mais d'avoir le courage de remonter le courant en s'efforçant d'enserrer les organes issus des suffrages populaires dans des cadres légaux. C'est de cette façon là seulement que l'on servira au mieux la démocratie car il n'y a rien de plus dangereux pour celle-ci que la trahison des élus.

Le Préfet est le garant de l'exécution des tâches régaliennes.

Mise à part l'ordre public qui est la première tâche "régalienne", c'est à dire relevant de l'Etat, les autres tâches sont relèvent plus du "bien être" dont le degré de réalisation dépend de l'option politique des dirigeants, s'ils préconisent "l'intervention de la puissance publique" ou le "laisser faire" dans les domaines sociaux et économiques.

Dans un pays en voie de développement, il est préférable que tout progrès économique s'accompagne de progrès en matière sociale car autrement le retour en arrière est très facile. Mais le progrès social ne se fait pas sans l'intervention de l'Etat car cela oblige à mettre en place des moyens contraignants ne serait-ce que pour les financer. Les deux axes essentiels du progrès social sont l'éducation et la santé car elles sont des facteurs d'amélioration du capital humain. Concrètement , avoir une population en bonne santé permet d'élever la productivité de l'économie qui en retour permet de financer l'amélioration de ce capital humain ; une sorte de cercle vertueux est à rechercher car l'économie repose essentiellement sur son soubassement démographique. La société fait donc une sorte d'épargne et d'investissement. Elle est obligée de mettre une partie de ses ressources de coté pour n'en profiter qu'à l'avenir. Et c'est là le point d'achoppement car l'épargne et l'investissement ne vont pas sans quelques réticences de la part de ceux qui ont les ressources et qui préfèrent peut être les consommer immédiatement ou les garder pour eux sans admettre la solidarité.

En ce qui concerne l'Education, les établissements scolaires doivent être contrôlés par le préfet pour leurs fonctionnements administratifs, voire le respect des programmes officiels. Actuellement, il y a une impuissance totale, sinon une démission ; les collectivités locales n'arrivent plus à financer les établissements, le ministère de l'éducation , malgré un budget important n'arrive pas à établir un programme cohérent et répartit mal les moyens qui sont déjà limités. Il faut que ce ministère soit unifié et allégé en se limitant à définir les programmes mis au point selon des modalités qui permettrons de les rapprocher au mieux des moyens disponibles et des objectifs d'intérêt national, former les enseignants et les qualifier. Il faudra qu'il laisse le reste des tâches à une autorité plus à même de gérer les problèmes locaux. Les établissements d'enseignement public pourront ainsi prendre en charge la totalité des aspects matériels des enseignants et des élèves. Etant donné le niveau de vie des ménages, il est préférable que ce soit l'établissement qui fournisse les fournitures scolaires et la nourriture des élèves ainsi que le minimum de vêtements. Autrement les élèves n'auront pas la disponibilité nécessaire. De même les bâtiments nécessaires ainsi que la rémunération des enseignants sont des éléments qui ne peuvent pas être gérés à partir du ministère d'Antananarivo. D'autant plus qu'il faudrait encourager les dons privés d'aide aux établissement en en garantissant l'utilisation. Tous ces problèmes devraient être gérés par la préfecture. A défaut, les établissements privés seront les seuls recours avec la sélection que cela implique or celle-ci se fait toujours aux détriments des ruraux et des pauvres et par voie de conséquences entretiendra un cycle de création de classes dans la société. Il faut absolument que les établissements scolaires publics soient les moyens d'ascension sociales pour élargir la perspective des jeunes.

Pour ce qui est de la politique de santé, la centralisation actuelle est complètement inéfficiente. La politique des grands hôpitaux urbains a été choisie en dépit du bon sens. Le cas d'Antananarivo est ainsi chronique puisque c'est là que se trouve les trois plus grands hôpitaux. Ils engloutissent tous les moyens aux détriments des petits hôpitaux des environs. Le résultat en est que tous les habitants de la périphérie sont obligés de venir se faire soigner dans ces trois hôpitaux qui n'ont de toute manière pas les moyens de fournir tous les soins. De plus, d'aussi grands établissements nécessitent des coûts de fonctionnement importants. Le résultat est antiéconomique puisque si l'on prenait le cas d'un malade habitant à 100km de la ville, il va engager des frais de transports pour lui et sa famille ainsi que des frais de séjour, ajoutons à cela le coût de fonctionnement élevé des grands hôpitaux et en admettant que les salaires du personnel soignant restent les mêmes, les dépenses sont plus élevées, dans le système actuel, que si un hôpital de taille moyenne existait à proximité du village du malade ; ajoutons à cela que les accompagnateurs du malade seront improductifs pendant leurs séjours en ville. Il faudra donc déconcentrer les centres de soins mais pour les pérenniser, le contrôle est indispensable tant sur l'existence du minimum de soins que sur la légalité des actes de soins et de la gestion administrative. C'est sur ce point que la responsabilité du préfet est indispensable. Cela facilitera également les campagnes de prévention indispensables dans ce pays où des maladies comme le paludisme, la peste et le choléra sévissent encore. Enfin, les ressources privées doivent être encouragées pour les hôpitaux, elles existent déjà mais un encadrement et un contrôle légal de leurs utilisations sera de nature à rassurer les donateurs.

Il reste la tâche régalienne de la collecte des impôts. C'est une tâche qui revient à la direction du trésor, qu'il faut étoffer en lui donnant le monopole de la collecte des fonds publics ; que les collectes de fonds, porte à porte décidées par les collectivités qui n'ont pas le statut d'association à but non lucratifs soient définitivement interdites. Mais pour cette tâche seul l'Etat a le monopole de la contrainte légitime et pour procéder à la contrainte, le ministère des finances n'a pas de moyens ; il lui faut donc l'appui de celui qui détient le pouvoir de mobilisation des forces de police qui est le préfet. Cet aspect est primordial car c'est la source des revenus de l'Etat et sans cela il aura du mal à accomplir ses missions. De plus, l'égalité des citoyens devant la loi doit être réalisée et il faut que personne n'échappe à l'impôt car c'est sont premier devoir envers la collectivité. Il faut bien entendu veiller à ce que les impôts soient le plus équitables possible.

En somme, pour que l'Etat puisse assumer correctement son rôle, beaucoup de pouvoirs seront délégués aux préfets ; ce serait dangereux pour la démocratie si aucun pouvoir de contrôle n'existait. Le réseau de tribunaux devra contrebalancer cela, où le juge judiciaire et le juge administratif seront les appuis du pouvoir judiciaire pour garantir les droits du citoyen tout en préservant la puissance de l'Etat.

II B Le pouvoir judiciaire doit se déployer au moyen du réseaux des juges.

La justice doit se déconcentrer pour rétablir l'équilibre centre-périphérie.

L'un des handicaps de la justice est qu'elle n'est pas assez proche du citoyen. Si des tribunaux existent dans chaque grande ville ils sont absents des zones rurales. Les gens doivent parcourir des distances importantes pour toute affaire juridique. Il y a alors un déséquilibre qui se fait aux détriments des agglomérations éloignées. Concrètement il est plus difficile pour un habitant des périphéries de faire valoir ses droits car il va systématiquement aborder un conflit en terre étrangère. Il est clair que l'habitant de la grande ville est avantagé par rapport au campagnard et ce dernier a toutes les chances de perdre un procès contre un voleur qui a des relations en ville. C'est pour cela que les compromis sont souvent préférés aux procès, ce qui paraît bien en apparence mais qui a pour conséquences que des zones entières sont devenues des zones de non droit, notamment les zones rurales.

Une déconcentration de la justice par l'intermédiaire des juges est donc nécessaire. Même s'il est admis que dans les centres, la justice est également moyenne, il vaut mieux répartir les moyens pour obtenir une justice homogène sur l'ensemble du pays que de maintenir la différence entre zones de droit et zones de non droit. S'il est vrai que la difficulté vienne de ce que l'on ne peut installer des tribunaux dans tous les villages, on peut approfondir la piste des juges ambulants, qui seront basés dans le chef lieu de département ou de région et qui seront chargé d'une zone, ils effectueront des visites périodique afin de résoudre les affaires pouvant se traiter localement. Il est bien entendu impératif que les principes de base du droit tels que la possibilité de faire appel et le rôle homogénéisateur de la cour de cassation doivent être maintenus.

Les juges garants de l'application de la loi.

Les lois ont toujours existé à Madagascar mais elles n'ont été que partiellement appliquées. Le rôle des juges est de rendre confiance au citoyen en lui démontrant que quoi qu'il arrive, la loi sera appliquée. Cela lui permettra de prévoir ses droits. La proximité du juge ne fera que conforter l'omniprésence de la loi et son respect. C'est aussi une manière de prévenir les délits car si l'infraction à la loi est systématiquement sanctionnée par un juge accessible immédiatement, il y aura un effet dissuasif certain.

Le juge administratif et le juge judiciaire sont les garants de la légalité des rapports entre l'Etat et le citoyen et de la préservation de l'efficacité de l'Etat.

Le juge est aussi le garant du droit des citoyens face à la puissance publique car l'Etat est une personne morale qui peut avoir des intérêts divergents de ceux du citoyen. Même si les actes de l'Etat sont les expressions de la volonté générale, les droits de l'individu doivent aussi être respectés. Pour ce faire, tout citoyen doit pouvoir ester en justice contre l'administration lorsqu'il estime que ses droits sont bafoués. Dans ce cas il saisit la justice et le juge peut demander la suspension des décisions sources du litige.

Cela pourtant pourrait poser des problèmes politiques et anéantirait le pouvoir de l'Etat car si les juges s'entendent pour contrecarrer systématiquement les actions de l'administration, il suffirait pour eux d'instruire un procès à chaque fois que l'administration voudrait appliquer une décision liée au programme du gouvernement. Le problème se posera également lorsque le juge ne connaîtra pas suffisamment le fonctionnement de l'administration et retardera inutilement les décisions. Cela justifie l'existence des juges administratifs qui connaîtront des litiges entre le citoyen et l'administration ; nommés par l'administration , ils sont chargés de la défendre. Un tribunal des conflits se charge des conflits de compétences et l'appel est toujours possible.

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Conclusion.

En définitive, l'Etat doit être reconstruit par l'extension des canaux de transmission du pouvoir central. Pour que l'Etat soit fort, les préfectures et les tribunaux doivent être le plus près possible du citoyen tout en veillant à ce que l'inertie du système soit le plus faible possible. De cette manière , l'Etat pourrait assumer pleinement son rôle de moteur du développement économique et social du pays.

Mais le prestige de l'Etat passe aussi par le changement d'attitude des personnes qui sont censées le diriger. La préservation de l'avenir nous le recommande vivement car s'il est admis que le marché - au sens mondial - va devenir très important d'ici peu, si ça ne l'est déjà, il est scandaleux de voir dans les journaux des hommes politiques comme Rabevohitra dire "...on ne peut rien contre le marché..." il sous entend qu'il faut se plier aux règles imposées par le marché quoi qu'il nous en coûte, en l'occurrence, il s'exprimait ainsi pour défendre le flottement de la monnaie, en dépit du bon sens. C'est justement contre ce genre de démission qu'il faut lutter car on ne met pas face à face le paysan malgache et la firme multinationale sans vouer le premier à une mort certaine. Le rôle de l'Etat est précisément de servir de tampon entre les entrepreneurs malgache, encore faibles - et la réalité du marché internationale où les faibles sont impitoyablement détruits par les forts. Les règles y sont en grande partie établies par les plus influents.

Si le protectionnisme systématique est à bannir, la naissance et le développement des secteurs économiques malgaches devraient s'accompagner de protections dégressives, et cela seul l'Etat a le pouvoir de le faire.

Fanantenandrainy Ratsimbazafy. Paris, 31 octobre 1996.