FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL ET STABILITE POLITIQUE

par Charles Cadoux

Mesdames, Messieurs,

On m’a invité à prendre la parole sur un aspect très précis - la période transitoire que traverse actuellement Madagascar - et on m’a proposé un intitulé Fonctionnement Institutionnel et Stabilité Politique. Vous pensez comme moi que c’est un intitulé qui convient davantage sans doute pour une période normale que pour une période transitoire, qui est toujours une période difficile. Je vous invite donc à prendre l’intitulé avec un point d’interrogation. Mon intervention se place dans l’optique d’échange de points de vue; de mon point de vue personnel j’essaie de faire le point de la situation, et je parlerai essentiellement en tant que juriste et politologue puisque c’est l’aspect institutionnel et la stabilité politique qui sont en cause.

Je cherche à faire pour moi le point de ce qui se passe à Madagascar depuis le début de la période de transition, et qui aura une prochaine étape importante, peut-être inattendue, personne ne le sait au mois de mars prochain, le Forum National. Je ferai à ce sujet quatre réflexions: sur les deux premières réflexions seront assez rapides et d’ordre général, mais je ne crois pas qu’on puisse à propos de n’importe quel pays discuter de problème de « transition démocratique» sans essayer de recadrer cet aspect dans un contexte plus général. Les deux autres réflexions sont plus ancrées dans le sujet mal g ache et Je renverrai à certains aspects qu’a déjà évoqués M. Leymarie, ce qui me fac1ilte~ un peu la parole. Tout ceci, encore une fois et avec un point d’interrogation, ce sont des questions que je me pose à propos de Madagascar d’aujourd’hui.

La première réflexion est relative au problème des régimes de transition: des régimes transitoires ou "intérimaires ou provisoires». Vous avez là trois adjectifs synonymes que vous rencontrez un peu dans toutes les constitutions du monde et qui correspondent à une situation par définition temporaire. Disons que depuis 1991-1992 les régimes de transition démocratique officiels fleurissent à travers le monde et que Madagascar est un de ceux-là avec ses aspects particuliers. Puis-je rappeler, d’un mot, et c’est une évidence, que, quand on parle de régime provisoire on l’oppose à l’idée de régime permanent qui est sous-jacente à une Constitution d’un régime normal. La permanence ce n’est pas, disons, le fait de figer les institutions, c’est le fait de construire un régime politique destiné à durer aussi longtemps que possible sauf à l’adapter en fonction des besoins mais à l’adapter en respectant les procédures régulières qui sont des procédures de révision constitutionnelle. Voilà un petit peu la philosophie politique explicite, le plus souvent implicite, sur laquelle fonctionnent notamment les démocraties libérales (et, je me permettrai de rappeler, sur lequel fonctionne aussi la Constitution de 1975 de la République Démocratique malgache (RDM), toujours en vigueur au moment où je parle).

Cela étant, on peut rappeler également que lorsqu’on parle de régime de transition, inévitablement on fait allusion à une période de tension politique, donc à une période d’incertitude, une période fragile; et parler de fonctionnement institutionnel et de stabilité ou non dans une période fragile c’est un petit peu marcher sur des œufs .. .Mais il y a au moins trois points que soulève un régime transitoire en général:

Premier point: C’est la structure; or l’expérience montre, l’expérience française et étrangère, que généralement les régimes de transition se donnent par besoin, par nécessité, une structure assez légère pour pouvoir fonctionner. Il ne faut donc pas trop chercher de démocratie (il faut être réaliste) dans un régime transitoire. Un régime transitoire a besoin d’une certaine concentration de pouvoir pour essayer de faire la transition au mieux. Les expériences françaises en la matière sont très nombreuses. Je rappellerai seulement certains d’entre vous, malgaches et français, que la période de transition, dans les années 1944-1946 a été singulièrement agitée. De même le pouvoir a été fortement concentré dans la transition qui a précédé la création de la Ve République entre le 13 Mal 1958 et le 4 octobre 1958, où les Français se sont trouvés attelés aux épreuves que traversent d’autres pays en ce moment.

Donc il faut une certaine concentration des pouvoirs; il y a risque de dérapage à vouloir être trop libéral.

Deuxième point: Il n’est pas souvent perçu, c’est la durée du transitoire, du provisoire. Vous avez des régimes qui s’intitulent provisoires indéfiniment et se donnent ainsi - officiellement du moins - une liberté d’action, une légitimité totale; la plupart des régimes autoritaires qui sont transitoires sans limite de temps restent des régimes autoritaires indéfiniment! En revanche, dans les régimes dits de ‘transition démocratique, il doit nécessairement y avoir une durée déterminé. Alors, il s’agit de choisir à peu près la durée convenable. Il est bien évident que si on transite pendant trop longtemps, pour qui joue le temps?...

Troisième point: Ce sont les résultats espérés d’un régime transitoire. Normalement, puisqu’on parle ici de démocratie constitutionnelle, le régime transitoire doit déboucher sur la rédaction et l’adoption d’une nouvelle Constitution, d’un nouveau Contrat Social, destiné à durer. Les régimes transitoires du passé, en France et ailleurs, montrent que parfois les régimes aboutissent à un résultat satisfaisant; que parfois ils entraînent certaines déceptions, et parfois aboutissent à des contradictions parfaites et absolues. Donc tout régime politique en train de vivre sa transition est un peu soumis à ces risques là, et personne ne peut les évacuer d’avance.

 

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Ma deuxième réflexion s’inscrit dans ce cadre général de réflexion mais je la rapporte à l’expérience de Madagascar en ce domaine. Je crois que Madagascar a déjà eu une expérience assez riche et même intéressante, et je me permettrai, très rapidement pour bien situer le problème actuel, d’évoquer deux expériences: la première remonte à 1972-1975 et la seconde, celle qui a commencé en 1991 et qui est en train de se poursuivre. En ce qui concerne la période transitoire de 1972-1975. commencée sous la direction du Général Ramanantsoa, du gouvernement Ramanantsoa, je rappellerai que ce régime transitoire malgache, donc le premier régime transitoire malgache contemporain, a été organisé à la suite d’un référendum par la Loi constitutionnelle référendaire du 7 novembre 1972. Dans cette Loi constitutionnelle provisoire, qui était la charte pour la période, on relevait notamment le point suivant: la durée maximum de la période provisoire est 5 ans. On s’était donnée donc jusqu’en 1977 au maximum pour, disons, construire un nouveau régime. Bien entendu on avait allégé considérablement les institutions. L’Assemblée Nationale de l’époque avait été supprimée, le pouvoir politique avait été essentiellement concentré dans le gouvernement dirigé pendant 28 mois par le Général Ramanantsoa: un gouvernement qui, par stratégie, se voulait un gouvernement apolitique», c’est-à-dire en dehors des jeux des partis qui, eux, restaient libres. Il y a eu les drames et les troubles que vous connaissez. L’aboutissement de ce régime transitoire a été l’adoption de la Constitution de la RDM du 31 décembre 1975. Mais je me permets de dire, quelles que soient les idées de chacun, que cet aboutissement était en totale contradiction avec la loi provisoire de 1972. L’article 2 de cette loi prévoyait que la deuxième République malgache serait une République libérale avec la séparation des pouvoirs etc. mais que ce serait une République rénovée». L’idée à l’époque, lorsqu’on a soumis ce référendum au peuple malgache en Octobre 1972, était en somme de proposer aux Malgaches: on se donne cinq ans, on concentre le pouvoir en le confiant essentiellement au Général Ramanantsoa pour faire les réformes appropriées et, au bout de cinq ans, on repartira sur une nouvelle République, et qui sera toujours une démocratie de type libéral. A l’occasion relisez l’article 2 de cette Loi Constitutionnelle provisoire adoptée par référendum... dont l’aboutissement est en totale contradiction avec la lettre et l’esprit qui inspiraient ce régime transitoire. C’est peut-être un point d’histoire qu’il n’est pas inutile de rappeler, à Madagascar, au moment où ça transite encore..

.La deuxième expérience c’est celle qui est en train de se dérouler et qui a commencé essentiellement en Mai-Juin 1991. A l’étranger, on ne comprend pas très bien ce qui se passe à Madagascar; on n’est pas tellement informé, et la presse n’a pas fait beaucoup échos mais on a l’impression que la transition se déroule dans des conditions assez particulières par rapport à ce qui se passe ailleurs. Pour ma part je relèverai quatre traitS originaux par rapport à la moyenne d’ensemble évoquée par M. Leymarie pour l’Afrique et dans le monde. Manifestement, au moins jusqu’ici, cette expérience transitoire se déroule dans un cadre relativement non violent, mis à part, si j’ose dire, la tuerie de Iavoloha en août 1991. Quand on voit ce qui se passe ailleurs, je crois que les Malgaches ont la chance et le talent de faire ce changement dans une relative non-violence. Autres traits - celui qui a surpris beaucoup à l’étranger, dans certains pays asiatiques notamment - c’est comment un Etat peut se permettre de faire la grève et la paralysie politique presque totale pendant plus de sept mois sans que rien ne s’écroule définitivement. Une aussi longue paralysie gouvernementale est je crois exceptionnel dans l’Histoire des peuples contemporains, sauf à ne pas arriver justement au déraillement total...

Troisième trait original qui découle du précédent, c’est qu’il y a eu aussi cohabitation, j’allais dire coexistence pacifique» de deux gouvernements provisoires parallèles, disons compétitifs, l’un se réclamant de la légalité, le premier gouvernement de Guy Razanamasy désigné par le Président, et l’autre revendiquant pour soi la légitimité, le gouvernement issu des Forces Vives Rasalama et autres, Installé sur la place du 13 Mai à Antananarivo. Cela a duré quand même à peu près trois mois, avec des chassées croisées, quelques expériences un peu burlesques parfois, et sans que le pays dérape véritablement dans l’anarchie. Cela me semble assez exceptionnel! J’ai essayé de faire le compte puisque M. Leymarie de donner un bilan général des régimes actuels de transition, je n’ai pas trouvé personnellement, d’exemples contemporains où un Etat, comme Madagascar, ait pu se permettre d’avoir deux gouvernements concurrents, l’un dans la rue, l’autre disons dans les offices, et procédant à des échanges pacifiques et officieux.

Enfin le quatrième trait, peut-être le plus important, c’est la présence permanente, l’inspiration, la médiation des Eglises chrétiennes et le rôle du FFKM Conseil oecuménique des Eglises chrétiennes à Madagascar). Je me permets de rappeler que c’est depuis le début des années 80 surtout que le FFKM commençait à intervenir et que c’est au Congrès d’Antsirabe en 1982 que le FFKM a pris les premières motions les plus percutantes pour critiquer le régime idéologique, politique et social de la RDM.

Tout ceci montre que Madagascar maintient envers et contre tout une certaine originalité, et même une originalité certaine, parmi les pays qui traversent des crises pol7itiques du même type. Ces deux premières réflexions d’ordre général devraient nuancer ce que je vais dire maintenant de façon peut-être trop brutale sur la situation actuelle.

Troisième réflexion: c’est l’organisation fonctionnelle de la transition. Quand on essaie d’organiser une transition démocratique, Il y a deux données de base qui sont à respecter. D’une part c’est le recours aux textes juridiques. (Petites parenthèses; on ne fait jamais autant de droits qu’en période de crise; quand on est en bonne santé on ne pense pas au docteur mais quand on est en mauvaise santé on pense au toubib. C’est à peu près la même chose en politique: quand le pays marche bien, le droit semble une affaire de spécialistes ou d’originaux un peu coupés du réel; mais lorsque ça ne marche plus, tout le monde se raccroche au droit et tous les débats politiques tournent autour de questions juridiques. J’ai ici un paquet de documents de et sur Madagascar. de presse et autres, et ce n’est que discussions juridiques, pour savoir qui a tort ou qui a raison.) Donc retour nécessaire aux textes juridiques en souhaitant qu’ils soient aussi clairs et transparents que possible. D’autres parts, et c’est la deuxième donnée de base pour un régime qui se réclame de l’Etat de Droit - c’est la formule à la mode mais sérieuse en plus même si elle devient un peu la tarte à la crème à travers le monde - un «Etat de Droit» suppose d’abord et avant tout une base juridique, une base constitutionnelle claire, et par conséquent une hiérarchie des textes. Il faut savoir, de la base au sommet, de la pyramide des textes juridiques, quels sont ceux qui s’imposent aux autres. Ce qui suppose une sanction systématique des violations de cette hiérarchie, et donc l’existence de juges compétents et honnêtes pour essayer de sanctionner les erreurs. Sinon ce n’es pas la peine de se réclamer de l’Etat de Droit, sauf à lancer la formule pour être à la mode du temps...

Cela étant, si l’on se demande ce samedi 29 février 1992, ce qu’il en sera du prochain 29 février c’est-à-dire dans 4 ans, j’aimerais bien savoir si on pourrait organiser une conférence ici sur le thème de l’Etat de Droit à Madagascar. Est-ce que ça aurait été le succès ou l’échec? On peut prendre les paris.

 

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De ce point de vue, je dirais que d’après mon analyse, un peu bornée sans doute et trop puriste, la situation de transition à Madagascar n’es pas très claire. C’est le moins qu’on puisse dire. Elle devient même de plus en plus chaotique et, à un mois du Forum National, cela m’inquiète un peu pour les aboutissements. Tout d’abord, avant de poser quelques questions ou autres suggestions, je vais faire l’état juridique des lieux. Essayons de voir très rapidement et chronologiquement quels sont les textes de droits fondamentaux qui sont, au moment où je parle, en vigueur officiellement à Madagascar, en cette période de transition. Ma réponse est à peu près incertaine d’autant plus qu’il y a un texte que je n’ai pas pu encore me procurer et que je ne connais qu’à travers la presse malgache. Mais enfin, il y en a quatre ou cinq dans l’ordre:

- Premièrement il y a toujours la Constitution de 1975 telle qu’elle a été rédigée en janvier 1990 (dont quelques articles supprimant le Front National pour la Défense de la Révolution (FNDR) et Introduisant le multipartisme). Cette Constitution, mise à part cette révision portant sur un point précis, reste entièrement en vigueur et je rappelle que la Constitution de 1975 prévoit que sont en vigueur à titre de Lois ordinaires toutes les dispositions non contraires de la Constitution de 1959 (Première République). Vous avez donc là un ‘bon paquet’ de droit Constitutionnel toujours en vigueur aujourd’hui. Ajoutons à ceci, parce qu’on en a parlé, qu’à côté de la Constitution de 1975 existe toujours, sauf erreur de ma part, la Charte de la Révolution Socialiste. Officiellement le ‘Boky Mena’ est le texte supra-constitutionnel auquel la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) a plusieurs fois renvoyé pour justifier telle ou telle décision.. .Un juriste n’a pas le droit de dire aujourd’hui que le ‘Boky Mena’ a disparu, il est tombé peut-être en désuétude mais en tant que document idéologique Il existe toujours parce que lié à la RDM... qui existe toujours en ce 29 février 1992.

En second lieu, chronologiquement, vous avez une abondance de projets ou propositions de révision de constitution ou de changement de constitution, l’année 1991 ayant été l’occasion de plusieurs propositions. J’en retiens trois ou quatre parmi les plus significatifs. Il y a eu tout d’abord en Octobre 1989 le pro et de Nouvelle Constitution établi par le MFM (militant pour le progrès de Madagascar) et que le Président de la République a refusé. Là, il ne s’agissait non pas de modifier la constitution de la RDM mais bien de changer totalement de constitution. Ensuite, dans cette foulée et sans doute un peu sous cette pression, le pouvoir en place a lui même rédigé un projet de révision de la Constitution de 1975 qui a abouti à des débats qui ont mal commencé à partir du 31 mai 1991 à l’Assemblée Nationale Populaire (ANP). Ce qui fait que ce projet gouvernemental de révision, qui avait été concocté avec soin pendant plusieurs mois, na pas pu entrer en vigueur puisque c’est la rue qui a pris la relève en juin 1991 par des manifestations de protestation contre le régime. Dans ce projet de révision (que j ‘ai Ici). le pouvoir proposait la suppression d’une douzaine d’articles et la modification de 70 autres environ; donc en gros, sur les 118 articles de la Constitution actuelle, il y en avait 80 qui étaient modifiés; et pour l’essentiel rien n’était fondamentalement changé, ni les liens avec la Charte de la Révolution, ni surtout les Institutions, le rôle du Président, etc...Parallèlement, il y a eu, au cours de l’année 1990, les deux premières Concertations Nationales en vue d’un Forum National. Et en ce moment-ci circulent plusieurs projets de constitution, celui des Forces Vives Rasalama et autres mouvements politiques. Tout ceci montre que l’activité Juridique, pour tenter de retrouver une nouvelle constitution adaptée à la société mal g ache contemporaine, a été et est extrêmement grande. D’un côté Il y a les partisans de la simple adaptation du régime, une RDM modifiée, c’est la position gouvernementale. Ou bien on change totalement de régime mais à charge de trouver la bonne solution et surtout le consensus nécessaire.

- Troisième étape ‘constitutionnelle» chronologique, c’est la fameuse convention du 31 octobre 1991, dite Convention du Panorama, parce que signée à l’hôtel Panorama d’Antananarivo entre les principaux leaders des Forces Vives et une délégation du Mouvement Militant pour le Socialisme Malgache (MMSM), représentant le Président, Cette convention du 31 octobre 1991 crée la nouvelle et fameuse Haute Autorité de l’Etat (HAE); elle annonce que la période transitoire sera au maximum de 18 mois à compter de la signature de la convention. (Quand on compte sur ses doigts, 31 octobre 1991 cela mène Jusqu’à avril 1993; donc, d’après cette convention, la période transitoire malgache s’achèvera en avril 1993 date de naissance ultime de la 111e République). Mais le temps passe vite. Pourra-t-on tenir le calendrier...

 

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Enfin un Forum National en Mars 1992 devrait déboucher sur l’adoption d’une nouvelle constitution, puis les élections.

- Quatrième texte chronologique, et là ça se complique: c’est la loi 91031 du 15 novembre 1991, sans entrer dans les détails, disons que le 15 novembre 1991 est promulguée une loi votée par l’ANP. Elle officialise la Convention du Panorama qui n’était en quelque sorte qu’un texte privé, mais en même temps, elle modifie certains articles de la Constitution de 1975 sur lesquels les oppositions du moment ne sont pas tous d’accord. Alors est-ce que c’est une petite ‘entourloupette»du pouvoir en place pour essayer de retenir ce qui peut être retenu? Il est bien évident que cette loi 91031 est un texte qui ‘Juridise’ en quelque sorte la convention du Panorama mais qui en même temps essaie de modifier encore une fois (à la sauvette?) la Constitution de 1975 de façon à sauver ce qui peut être encore sauvé. Je crois savoir que cette loi n’a pas encore été, à ce jour, publiée au Journal Officiel de la RDM. On sait bien que le Journal Officiel en cette période de transition ne sort pas toutes les semaines, mais le fait qu’on ne la fasse pas bien connaître, est peut-être un élément Indiquant que le pouvoir est un peu gêné aux entournures par le fait d’avoir tenté de revenir un peu en arrière. En tout cas, ce texte a fait l’objet de commentaires sévères dans les milieux de l’opposition.

- Le cinquième texte dans l’ordre chronologique est une ordonnance de la HAE en date du 12 décembre 1991 portant statut de la HAE. Elle a été publiée et promulguée par un décret du 29 Janvier 1992. Donc une ordonnance du 12 décembre 1990, publiée six semaines plus tard. Cela aussi laisse penser qu’il y a eu des ratés, ou des ratages. Quand on lit ce texte on voit que la HAE étend manifestement ces pouvoirs. A-t-elle le droit de développer ses pouvoirs ainsi? J’y reviendrai dans un petit Instant. Mais surtout est-ce que le contenu de cette ordonnance définissant le statut de la HAE ainsi que le régime juridique de ses membres et autres points étaient constitutionnels ou non? Or la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) vient de déclarer inconstitutionnelle cette ordonnance... En d’autres termes, elle veut dire qu’on en revient (au moment oû je parle) au mieux, à la loi du 15 novembre 1991, au pire, à la Convention du 31 octobre 1991, et en tout cas on en revient à la Constitution de 1975. A moins que la HAE. forte de son «autorité transitoire», ne décide de mettre fin à l’existence de la HCC. Après tout, pourquoi pas?...

Que cinq textes successifs et plus ou moins complémentaires soient en vigueur pour une période transitoire, c’est pour le moins bien compliqué. C’est le signe que la stabilité politique n’est pas aussi forte qu’on pourrait l’espérer.

A partir de là, dans cet environnement qui faIt un peu désordre, je m’excuse de le dire, quelles sont les institutions transitoires qui découlent de la convention du 31 octobre 1991 il y en a quatre. Le rôle du Président de la RDM est maintenu, mais il est maintenu à titre plutôt symbolique; il y a quelques formules bien pesées qui montrent que même en tant que Chef des armées, il reste Chef des armées au titre de symbole, de garant de l’intégrité nationale. Sur le plan de l’interprétation, Il n’y a pas d’ambiguité. En revanche, vous avez la HAE, qui comprend trente un membres dont un président et des vice-présidents, ce qu montre que cette HAE, contrairement a ce qu’elle dit parfois, n’est pas un véritable organe collégial. Un véritable organe collégial décide en commun et sur un plan d’égalité de tous les membres. Il est dit toutefois que la HAE s’efforce de décider par consensus, mais il est dit également que si le consensus au sein de la HAE ne p eut être obtenu, le vote est acquis à la majorité des deux fiers. Alors tout dépend de I a composition politique de la HAE. Sur les 31 membres 18 sont proposés par les Forces Vives Rasalama, 6 par les Forces Vives de Madagascar et les autres par le MMSM. Vous avez donc un organe de transition à haute combinaison politique.. .et qui dans son fonctionnement peut aboutir à des choses un peu inattendues. Cette HAE finalement reprend à son profit les compétences qu’avaient jusqu’ici le Conseil Suprême de la Révolution (CSR) et l’ANP, ces deux organes étant officiellement suspendus depuis le 31 octobre 1991. A côté de la HAE il y a le Gouvernement, ce Gouvernement qui était légal mais pas légitime aux yeux de certains au début, puis qui 1’ est devenu depuis la Convention de Panorama. C’est le deuxième Gouvernement de M. Guy Razanamasy. Et puis, vous avez un autre organe Important, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC); c’est l’organe de l’ancien régime, si je puis dire, mais on renforce cette Haute Cour. elle passe de 7 à il membres et surtout, au moins à la lecture du texte, on renforce ou on veut chercher à renforcer son autorité en tant que juge électoral et en tant que juge de contrôle de constitutionnalité; elle a pour charge de faire respecter à Madagascar pendant cette période transitoire ‘les principes généraux du droit», donc l’Etat de Droit dépend de son jugement. Enfin, il y a le Comité de Redressement Economique et Social (CRES), organe consultatif qui reprend un peu le rôle du Comité Militaire pour le Développement (CMD)... Voilà un petit résumé de ces Institutions. Je dirai que pour une période de transition, mais je sais bien que chaque pays ou chaque régime fait sa transition comme il peut, il y a presque trop d’organes... et trop de contrepoids pour prendre des décisions. D’un autre côté, si on fait une HAE un peu à la hussarde, je prends l’image de ce qui se passe en Algérie, la solution n’est peut-être pas Idéale non plus du point de vue transition démocratique...

Après avoir rappelé ces institutions transitoires et ces textes, quelles sont les questions qu’on peut se poser? D’abord celles-ci: Quelle est la hiérarchie des textes? La Convention de Panorama, qui n’était au départ qu’un acte de droit privé, en quelque sorte un accord politique sans valeur juridique effective, a été «juridisée» par la Loi du 15 novembre 1991. Mais au moment où I’ANP a adopté cette loi, l’Assemblée était déjà suspendue depuis un mois.. .Quelle est alors la valeur juridique de ce texte? A ma connaissance la HCC n’a pas été appelée à se prononcer sur ce point. Alors, si en période transitoire on commence à mettre en cause des textes dits fondamentaux, cela devient quand même un problème assez sérieux...

 

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Et parmi les questions qui se posent il y a celle des prochaines échéances, dont deux principales et presque immédiates.

- Tout d’abord, première question, quelle nouvelle Constitution? Quel est le texte qui va être discuté, retouché et souhaité par le Forum National? Un ou plusieurs projets de Constitution en compétition?

- Deuxième question: Est-ce que le Forum National pourrait se proclamer Conférence Nationale souveraine et ainsi jouer le rôle indirect mais effectif, après tout, d’Assemblée Constituante; ou est-ce qu’on va encore après le Forum recommencer des opérations d’Assemblée constituante ou de référendum? Il faut bien reconnaître qu’à un mois du Forum National (prévu pour le 22 au 29 mars 1992) ces points de procédure -essentiel! - ne font toujours pas l’objet d’une clarté lumineuse...

Je le dis tout de suite, je ne suis pas tellement partisan du référendum non pas qu’en soi il n’ait pas vertu démocratique, mais on voit de partout, en France y compris, de telles manipulations quand il s’agit de textes à approuver ou à rejeter. Demandez au peu p le oui ou non voulez-vous telle constitution?». C’est très facile d’obtenir le oui! Quel est le citoyen qui prend la peine de lire le texte de la Constitution qu’on lui propose et quel est celui qui prenant la peine de le lire le comprend, et quel est le professeur qui se croit compétent, et comprend tout?... La procédure constitutionnelle référendaire, à condition qu’elle ait donné lieu à des débats politiques préalables, très éclairants et très libres, est intéressante. Mais s’il s’agit de passer un référendum comme on en a passé en France à certaines occasions, ou comme on en a passé à Madagascar en 1975... (Je rappelle qu’en futur RDM, le 23 décembre 1975, les Malgaches avaient été appelés par un seul oui ou non à répondre à trois questions différentes mais importantes: -Voulez-vous ou non approuver la Charte de la Révolution Socialiste malgache? Le Boky Mena, il fallait le lire, il avait été récité à la télévision, à la radio, mais enfin.. .Voulez-vous ou non approuver ce projet de constitution; et enfin voulez-vous ou non que Ratsiraka soit le Président de la République?). On peut être d’accord deux fois Oui et une fois Non. Mais il faut répondre Oui ou Non et c’est tout. Donc il y a là des problèmes de procédure qui sont extrêmement sérieux si on veut vraiment organiser un régime transitoire dans le souci d’un Etat de Droit, de Démocratie libérale, Il faut accorder très grande attention aux procédures qui seront adoptées en vue de l’établissement d’un IIIe République malgache.

Je termine par une quatrième réflexion très rapide parce que cela me permettra de renvoyer à ce qu’a dit brillamment M. Leymarie. puis à ce que diront les autres intervenants. Cette quatrième réflexion est relative aux enjeux politiques.

SI je prends l’intitulé de ma communication - fonctionnement institutionnel - je vous ai dit que ce fonctionnement ne m’apparaissait pas d’une clarté évidente (cela me fait penser à Corneille. Le Cid. et ce vers fameux... «Cette obscure clarté qui tombe des étoiles). Quant au thème de la «Stabilité politique». j’aurais tendance à dire que nous sommes en période de transition et à ce que je crois percevoir (j’étais à Madagascar au mois d’octobre 1991) je dirais qu’il y a une instabilité politique très vive - il y a une concurrence politique, normale d’ailleurs entre plusieurs forces - dans la stabilité gouvernementale, mais une stabilité gouvernementale (provisoire!) qui a été obtenue par l’usure; il faut reconnaître que s’il y a eu la signature du 31 octobre 1991 de cette convention de Panorama, c’est parce que l’ensemble de la population commençait à être sérieusement épuisé par ces débats de plus en plus ‘politicien» et il fallait voir sur la place du 13 mai comment les réunions commençaient à s’affaisser. Je crois que la sagesse a été justement d’aboutir à cette convention, qui a été le déclic pour amorcer la ligne droite.

Cela étant, au sein des forces politiques actuelles, vous avez des compétitions très vives entre l’opposition globale et le MMSM. avec à l’intérieur de chacune d’elles d’autres compétitions. Par exemple: la composition de la HAE avec ses 31 membres proposés par trois forces différentes, montrent assez qu’on a essayé d’équilibrer un système au risque de ne pas avoir toute l’autorité nécessaire Jusqu’au bout si Jamais il y a des faiblesses ici et là. La HAE est une coalition, un agrégat et non pas un ensemble politique homogène. Plus simplement, Il y a dans les enjeux politiques actuels à Madagascar, un véritable bras de fer constitutionnel et politique. et Je suis à peu prés persuadé que ce bras de fer va se Jouer jusqu’au Forum National. Il ne se dénouera que là. et plus probablement après.

Quant aux enjeux politiques soulevés par la nécessité de façonner un nouveau régime, de faire une nouvelle constitution dans tel ou tel sens, j’en évoquerai deux ou trois: le premier problème que je ne traiterai pas bien qu’il soit fondamental, c’est celui de l’économie. M. Pourcet en parlera tout à l’heure. C’est aussi le problème hautement politique avec l’éventuelle suppression des VIP (collectivités décentralisées), le problème de la nouvelle décentralisation ou régionalisation à imaginer... 51 on supprime les VIP actuels, est-ce pour revenir au système de la décentralisation de la Première République ou pas? Je renvoie sur ce point à l’exposé de Jean-Pierre Raison. Mais il y a ce fameux problème, ce mot j’allais dire tabou à Madagascar, le mot de fédéralisme. Ce mot en soi est porteur de démocratie, c’est le moins qu’on puisse dire, mais tout dépend de ce qu’on y met; si sous la couleur du fédéralisme on crée des systèmes politiques pour tenter de satisfaire des appétits politiciens et autres, c’est du dévergondage. Je rappellerai que, de toute façon, quand on crée un véritable Etat fédéral, c’est une chose qui mérite attention et extrême prudence car cela peut développer des forces centrifuges incontrôlables. Et créer un Etat fédéral c’est ajouter un coût financier considérable au budget de la nation. Un véritable fédéralisme suppose, en effet, des institutions autonomes dans chacun des Etats fédérés: un gouvernement, un parlement, des tribunaux, une fonction publique, etc.. .Si les moyens financiers n’accompagnent pas ces structures ce sera du faux fédéralisme, et cela ne fera qu’empirer les choses: le vrai fédéralisme ne se réduit pas à des divisions ethniques ou supposées telles. C’est là un problème très sérieux à Madagascar que la future 111e République ne pourra pas éluder.

 

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Enfin un autre problème important à évoquer dans un Etat de Droit, c’est le problème du fonctionnement de la Justice. C’est vrai dans tous les pays, je crois que c’est très vrai à Madagascar, tout le monde le sait et le sent à commencer par les magistrats eux-mêmes. Il y a toute une Justice à reconstruire totalement à Madagascar. Je le dis d’une façon claire et nette, je crois que le mal est extrêmement profond et ce n’est pas la peine de parler beaucoup d’Etat de Droit si on n’arrive pas d’une façon ou d’une autre à remonter la pente ; là-dedans s’inscrit, bien entendu l’organisation aussi court que possible des prochaines élections. Il y a toujours des dérapages dans les élections, mais une élection démocratique est celle qui se fait d ans la clarté la plus grande et celle qui permet au juge électoral de sanctionner effectivement les fautes qui sont prouvées.

Je terminerai ce rapide exposé sur un mot qui me parait, dans cette période de transition, résumer un peu le souci général à la fois des acteurs politiques et des citoyens malgaches. Je fais une petite comparaison en revenant à la première période transitoire 1972-1975. Il y avait un mot clé qui voulait Inspirer la logique et l’éthique de cette période, c’était celui de la rénovation de la société malgache. Ce thème de la Rénovation de la société mal g ache était au centre du débat politique et des discours tous azimuts, et le résultat fut le thème de la révolution.

Le mot qui me parait aujourd’hui le plus porteur, d’après ce que Je lis, d’après ce que J’attends dans les discours, dans les propos, dans les motions du FFKM etc. . et même à l’occasion de certains projets de texte, c’est le mot «moralisation». Il faut que la future lue République malgache revienne à une effective moralisation. Comme je suis un peu curieux, je dis moralisation: de qui ou/et de quoi? Par qui ou/et par quoi? Si on fait une IIIe République sans donner une attention tant soit peu sérieuse à des idées aussi générales. Je crois qu’on risque encore d’aller devant des lendemains qui ne seront pas des lendemains qui chantent. A Madagascar le mot fédéralisme apparaît aujourd’hui comme un mot ‘diviseur», et certaines instances politiques jouent dangereusement avec ce mot. Voilà ces quelques réflexions sur cette période transitoire qui me parait bien ambiguë.

Nota Bene: J’ajoute (c’est un extrait de Midi Madagascar du 22/2/92) un bref commentaire sur une décision de la HAE. La HCC vient de déclarer inconstitutionnel le statut de la HAE et demande la suspension de la dite ordonnance. Si j’étais le P. Zafy. Je me dirais: «Est-ce que j’existe encore?» En effet, dans le commentaire du journaliste, on Ht ceci: Selon la logique développée par la HCC . La RDM existe et ne peut être remplacée par un état de bon vouloir qui constitue un crime contre la loi; pour la HCC la Constitution de 1975 est toujours en vigueur sauf coup d’Etat; par ailleurs, selon elle, la convention du 31 Octobre 1991 est un simple contrat régi par la théorie générale des obligations et aucun des signataires. Hormis le Premier Ministre ne peut prétendre à la qualité juridique de sujet de droit public. C’est le retour à la case départ? Comment s'y retrouver dans ces institutions de transition? (Remarque: il s’agit ici de la HCC ancienne version - 7 membres - la nouvelle n’a pas été encore instituée car le Professeur Albert Zafy n’a pas encore désigné les membres dont la nomination lui revient).

Questions:

Est-ce que le juridisme peut pallier le manque d’idéologie. A défaut de consensus idéologique va t-on chercher un consensus juridique?

On parle de démocratisation et de moralisation, est ce que le terreau de cette moralisation existe alors que tout repose déjà sur le flou? Au lieu d’appeler, il faut démontrer, la balle est dans le camp des gens au pouvoir.

De toute façon, à partir du moment où on veut construire un nouveau régime politique, il faut lui donner une base juridique. Vous n’en sortez pas! Que vous soyez léniniste ou anti-léniniste Il faudra faire un texte juridique appelé constitution, charte, ou autre. Il y a ce besoin minimum de juridisme; alors ou bien ce texte juridique c’est du juridisme au sens péjoratif du terme, c’est à dire se sont des règles de droit qui n’embarrassent personne qui vont être un peu la carapace de la société civile, sans qu’à l’intérieur de la société civile il y ait de valeurs républicaines ou autre. Le juriste n’y peut rien, il ne faut pas demander au juriste ce qu’il ne peut pas fournir. En revanche, c’est aux acteurs politiques, à. ceux qui envisagent d’exercer le pouvoir, d’apporter avec eux leurs valeurs et de le démontrer. Si vous estimez qu’il n’y a aucun terreau à Madagascar pour ce genre de travail politique, je pense que vous ne croyez pas trop à la possibilité de transition démocratique.

Que pouvez-vous dire sur les contre-pouvoirs et la «démocratie participative»?

Le meilleur contre-pouvoir c’est de donner aux gens la faculté de s’exprimer librement sans multiplier des institutions.

La démocratie libérale repose par nature sur le principe des participants puisqu’elle se définit comme gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple». Aussi l’expression de démocratie participative» n’est qu’une façon d’insister sur les exigences du régime démocratique, ce aussi sur ses difficultés. C’est insister sur les techniques de participations, individuelles et collectives - qu’une bonne Constitution doit indiquer - qui devront permettre au(x) citoyen(s) - souverain d’exprimer pleinement son choix politique, économique, social dans le cadre de la Nation. Qu’il soit membre de la majorité politique du moment, ou qu’il soit majoritaire, le citoyen a le droit et le devoir de participer.

 

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