LEXPLOSION DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE ET A MADAGASCAR
par Philippe
LEYMARIENous allons essayer de dresser un cadre de tout ce qui bouge en Afrique depuis deux ans, et essayer dévoquer quelques traits de la situation malgache, qui peuvent correspondre ou non à cette explosion-là.
Le continent africain, il y a encore un ou deux ans, notamment en Occident, avait une image de continent immobile. Un continent objet de toutes les malédictions. Le rond-point des malheurs, des fléaux. des catastrophes. Un continent où rien ne marche. Où la vie na pas de prix. Où tout coule comme ça, un peu dans lindifférence et dans la catastrophe.
Cinquante et un États, donc lémiettement. Plus dun millier dethnies. Des guerres civiles et des famines dans au moins douze pays. La pauvreté maximale: nulle part ailleurs il ny a autant de «pays les moins avancés» (PMA). Un véritable creuset à aumônes: toujours tendre la main. Et en plus, le tonneau des danaïdes: plus il y a dargent, moins ça sert etc.. .Et puis les épidémies
- choléra, paludisme, et bien sûr, la pire de toutes, celle qui est déjà réelle mais qui est surtout annoncée, celle du sida. Bref, la malédiction.Une vingtaine de régimes actuellement qui existent en Afrique sont issus de coups détat militaires dont le but initial était de mettre fin à la pagaille.
Une vie politique bloquée. Pas de parti ou le parti unique la plupart du temps; rien ne doit bouger, Il ne faut pas discuter. On maintiendra». Des généraux-présidents, des roitelets, la corruption, linégalité. Le règne de linflation, de la débrouille, de lajustement.. .les diplômés qui sont à la rue et qui conduisent les taxis.. .bref le gâchis socio-politique maximum. Et tout ça alimentant une espèce «dafro-pessimisme» bien sûr très médiatisée en Occident.
Cest toute limage quon voit du continent mais les verrous sont en train de sauter. Et quil y a toute une vague
- appelons-la «démocratique» - qui se manifeste en ce moment, et qui vient des causes souvent citées.Léchec économique et limpuissance politique des régimes qui existaient. Lexemple de la contestation venue de lEst: quand on sest mis à vouloir démettre les Ceausescu ou dautres, ça a donné des idées à certains en Afrique.
Egalement, leffondrement des modèles qui avaient quand même servi de référence à beaucoup de pays: les modèles «socialistes», en général.
Le déblocage des conflits en Afrique Australe, lAfrique du Sud justement, en voie de rattachement au continent africain: quel événement, et quelle chute de tout un tas danciens symboles, de blocages ethniques ou autres qui existaient dans la tête des gens. Quelle normalisation, disons, est en route!
LÉthiopie aussi, quel symbole! Un des premiers ou le premier pays indépendant du continent africain, le pays du «Roi des Rois», le seul pays qui aspirait ensuite à être communiste aussi en Afrique.. .ce pays-là, lui aussi, finissant en une vulgaire fuite de Menguistu, plus ou moins organisée peut-être par les services secrets américains, Israéliens ou autres. Mais tout de même, une fin piteuse, et encore quelque chose qui seffondre.
Et parallèlement, la montée des opinions publiques, conséquence politique du mécontentement dans les métropoles gonflées par lexode rural et en proie aux rigueurs de «lajustement». Voilà pour les causes ou les accélérateurs de cette situation.
LA VALSE DES PRESIDENTS
Et la vague démocratique, là voilà: un changement de paysage assez énorme, en moins de deux ans , semblable à ce qui sest fait dans les années 60. avec la vague des indépendances.
Une vingtaine dEtats ont adopté une constitution pluraliste et organisé des élections. Une douzaine dautres sont en train de le faire en ce moment ou sapprochent de ce processus-là. Il y a certes trente quatre pays qui ont encore des régimes présidentiels forts, mais dans une quinzaine dentre eux, il existe déjà un premier ministre, ce qui constitue un relatif contrepoids.
Dans certains de ces pays, au pouvoir présidentiel exclusif, on a une vingtaine de régimes qui sont en ce moment contestés mais qui vont pouvoir peut-être durer ou pas. Une quinzaine détats qui ont connu ou vont connaître un phénomène du style «conférence nationale». Une huitaine de dictateurs ou bien de présidents très exclusifs qui ont été déposés depuis deux ans (Menguistu, Siaad Barre, Traore...). Il y en a huit autres menacés ou déjà neutralisés (Ratsiraka, Eyadema, Nguesso, Mobutu. etc.). Et puis des menacés à un peu plus long terme: Biya (Cameroun). Conté (Guinée), Gouled (Djibouti), etc.
Et puis, il y a cinq guerres civiles qui sont en voie dapaisement, ce qui est aussi un énorme changement par rapport à la situation quon avait il y a deux ans. Libéria, ça se normalise, Angola: cest quasiment terminé. Éthiopie: en voie de normalisation. Afrique du Sud: on allait vers un affrontement majeur, mais pour une série de facteurs
- on la évité et on lévitera vraisemblablement. Mozambique. même si les choses sont bien difficiles, ça a lair de peu à peu se dénouer. On peut même ajouter en prime, de nouveaux états indépendants: la Namibie, lÉrythrée (presque), le Somaliland, qui aspire à lêtre.Les «guides éclairés», les «pères de lindépendance», même comme le père relativement tranquille quétait Kaunda, de Zambie, tombent. Les «officiers providentiels», les maréchaux et amiraux sont en difficulté ou disparaissent. Les «présidents à vie», il ny en a plus beaucoup: Banda du Malawi sera arrêté, au pire, par la limite dâge et, au mieux, par des incidents politiques. Même sil y a quelques étonnants résistants: Bongo, du Gabon, le grand roublard, Mobutu du Zaïre qui a profité de lanarchie galopante sans doute dans son pays pour tirer chaque fois son épingle du jeu. Paul Biya du Cameroun qui joue sans doute sur la bigarrure ethnique difficile de son pays. Pour ne rien dire de linusable Houphouët Boigny.
NOUVELLES COUCHES SOCIALES
Phénomène également intéressant dans ce qui se passe actuellement; cest lentrée en scène de nouvelles couches socio-politiques. Des gens quon avait très peu vus auparavant: le clergé, les gens des églises chrétiennes très actifs à Madagascar, mais aussi au Zaïre, au Bénin, au Togo. Les églises se sont mises en avant soit comme arbitres, soit comme partie prenante dans le débat politique ... les églises qui ont toujours été des institutions anciennes, solides et qui pour cela se sont retrouvées au bon moment, incarnant une certaine honnêteté, lintérêt du pays profond, ou de certaines couches sociales en tout cas.Autre couche socio-professionnelle avance sur la scène: les syndicalistes, quon avait un peu oubliés, surtout dans les pays à parti unique où ce nétait pas très facile pour eux; mais qui, dans ces temps douverture, de contradiction, de pluralisme, retrouvent une certaine actualité.
Les mouvements estudiantins aussi quon avait connus actifs à certaines époques, notamment peut-être aux moments des indépendances et puis à la fin des années 60 dans certains pays; ils reviennent au-devant de la scène.Les média, les journalistes, avec toute une presse écrite notamment, qui a ressurgi
à Madagascar, certes la presse a toujours été relativement active; mais du côté de lAfrique de lOuest, dans beaucoup de pays, cétait une situation monopoliste, et il ny avait pas de débat du tout dans ces journaux. Mais ce nest plus le cas aujourdhui et dans beaucoup dentre eux, la presse est très tenace, très diverse; et elle est en train de contourner les citadelles de laudiovisuel étatique qui, tenaient les devants de la scène Jusquici, notamment aux temps du parti unique.Ce quon voit surgir au total, cest une classe moyenne, qui était là, mais qui était muette. Une couche urbaine surtout, avec les fonctionnaires, les techniciens et tous les gens dont le niveau de vie a été grignoté par linflation de manière considérable ces dernières années. Qui, quand même, sont sensibles au courant didées de lextérieur, aux médias étrangers ou nationaux, et qui, vu la détérioration de leur condition quotidienne. se sont mis à bouger.
Ajoutons à cela, issue de toutes ces couches sociales qui bougent, une nouvelle race de dirigeants: un avocat devenu premier ministre au Togo; un syndicaliste, M.Chiluba qui est président en Zambie; un financier devenu Président au Bénin, etc... Il y a toute cette frange de chefs issus de la Banque Mondiale, des institutions financières internationales, et qui se présentent là pour avoir les postes et là cest quand même un profil un peu particulier à regarder de près parfois, avant de les propulser peut-être à la tète des «affaires des Etats».
LES
CONFERENCES NATIONALES.C
ette explosion saccompagne de la découverte, du retour ou de la mise au point de nouvelles formules politiques. On parle, bien sûr, surtout de ce quon appelle la «conférence natlonale»; une forme pacifique de «révolution», disent certains. Cest vrai que ce sont des machines assez redoutables, pour éventuellement faire une espèce de «coup dEtat légal» puisquon rassemble tout le monde, et quon finit par dire, «justement, on est souverain», et donc cest nous qui décidons. Et puis on décide ... que toutes les Institutions en place sont caduques.Des instances élargies, en général, à toutes les couches sociales: cest le côté «société civile», le côté «pays réel». Les accusés sont bien sûr les Etats à lancienne, les partis uniques, larmée (surtout quand elle était une armée confisquée par certains pouvoirs), la corruption. Cest le grand déballage, le psychodrame, léléctrochoc, avec ce côté règlement de compte. Cest aussi assez coûteux, cest long souvent, parfois difficilement gérable; au Zaïre par exemple. Dailleurs, dans les pays de tradition coloniale anglophone, on considère que cest pas très bien de tenir ce genre de «conférence nationale»: cest une affaire pour lAfrique de lOuest, ces pays dAfrique de lEst ou australe préfèrent les élections, ils se débrouillent avec leur justice qui est plus indépendante en général que les systèmes judiciaires des pays dits «francophones».
Le grand exemple de conférence nationale, cétait le Bénin, il y a deux ans: le parti unique a perdu, ensuite, les élections: Kérékou a dû céder la place après avoir mené un combat électoral courageux. Au Gabon, il a eu le multipartisme, des élections législatives; cest le parti unique de Bongo qui a gagné, mais il y eu quand même conférence nationale. Au Congo, ça a duré trois mois, on a déballé toute sorte de choses, on sest battu, Nguesso a été dépouillé publiquement de toutes ses prérogatives, larmée a résisté encore au début de cette année. Il y a eu le MaIl, le Niger aussi, le Zaïre, où on se dispute les quotas ethniques.
Autres formes de contestation politique, les conférences nationales non souveraines. On peut parler, mais ça ne débouche pas sur des décisions. Cest le cas du «forum», du Pacte national comorien signé après une «table ronde». En général, pour les forums cest le côté «société civile», le plus large possible; il y a le cas du Burkina Faso, mais là le forum a été mis en place pour éviter justement une conférence nationale souveraine. Il en sera de même au Centrafrique.
Ou bien alors, dautres formules, plus classiques; les processus électoraux. Cest le cas du Cameroun où Paul Biya sen est tenu aux élections, de même quen Mauritanie. en Côte dIvoire, en Angola, au Guinée, etc.
DANGERS, RESISTANCES, DESILLUSIONS
Mais certains de ces pays connaissent déjà un certain nombre de dangers, de résistances et de désillusions. Les dangers: lancien parti unique tenait le pays, assurait sa cohésion dans certaines frontières, notamment sur le plan sociologique, ethnique, régional. Certains de ces Etats présentent pas mal de diversités et sont difficilement gérables. Ils étaient soigneusement verrouillés. Tandis que là, cest lexplosion des particularismes, les régions disent «Et moi et moi». Les divisions, les frontières même parfois. sont remises en question par telle ou telle minorité. il y a le réveil du religieux. des sectes aussi. Bref, il y a tout ce côté marmite dans beaucoup détats: le couvercle ne demande quà sauter, et il peut en sortir un peu toutes sortes de choses. La transition, dans certains de ces pays, est difficilement gérable; trop de pouvoirs différents, parfois des dirigeants qui manquent dexpérience, léparpillement des partis ou des centres de décision etc.
Des résistances: des anciens présidents ont trouvé différents moyens pour retarder le processus; danciens partis uniques essaient de figurer dans les confrontations à venir. Les armées aussi, qui étaient associées au régime par définition: difficile de faire une armée vraiment neutre, parfaitement distante, outil absolument indépendant de lEtat dans son acception presque irrationnelle. Les armées résistent donc dans différents pays:
Il y a eu le cas du Togo, du Congo, sous dautres formes du Zaire. On pourrait en citer un certain nombre dautres. Dans les résistances également. il y a les fins-fonds, la brousse, les arrières-pays. les campagnes, pour qui ces mouvements - qui sont en général des mouvements urbains - sont quand même parfois des choses impalpables. Inquiétants, incompréhensibles, hostiles...
Et enfin, des désillusions. Les processus sont lents, complexes à suivre pour certaines couches de gens. Pendant ce temps-là, la vie quotidienne névolue pas beaucoup, voire même pas du tout, quand elle ne devient pas pire. Comment demander ensuite à une population de voter pour les dirigeants qui leur imposent des plans plutôt impopulaires «dajustement» ou autres rigueurs? Comment exiger aussi des gouvernements quils appliquent ces fameux plans sils sont tellement impopulaires? Ce serait les amener à labattoir... il y a des lendemains qui commencent à déchanter, au Congo par exemple, ou au Togo, au Niger...
En règle générale, on aurait intérêt, dans ces phases de transition, à pratiquer lunité nationale la plus large possible. même si on déteste lincarnation de lancien régime éviter de tout privatiser dun coup, de tout offrir à létranger, dévacuer totalement ladversaire davant, ne serait-ce que pour des raisons tactiques. Parce que. sans cela, on multiplie les risques dexplosions .. .dans un contexte de difficultés économiques graves.
LES EX-«METROPOLES» DESEMPAREES
Quelques mots des ex-métropoles, notamment de la France. Elles sont désemparées, semble-t-il. Pour ce qui est de la France, il y avait déjà un retrait des intérêts français qui était en route, pour différentes raisons: raisons déconomie interne française; et puis aussi parce quil y a lattraction des pays de lEst etc.. .La France officielle apparaissait tout de même assez compromise avec les régimes africains, dans leur ensemble. Le système des relations France-Afrique a traversé finalement les différentes époques de la cinquième République, ça na pas vraiment évolué sur ce plan-là, malgré les efforts de tel ou tel. Alors on sest trouvé à Paris, face au désarroi des «chers amis» ou des amis moyennement cher. Un homme comme le Roi Hassan Il a eu cette expression. après avoir constaté les désordres sur le continent: Vous, les Français. vous avez foutu le cancer»: allusion à ce qui aurait été dit à la Baule, et qui aurait donné le signal à lAfrique; cest une thèse qui est dailleurs discutée, mais cest pour donner une idée du climat. Intervenir ou pas
- militairement, je veux dire - aller invoquer lhistoire des ressortissants français à tout bout de champ pour justifier une entrée des soldats tricolores, ce nest pas très bon; et, de ce côté-là, les gouvernements de gauche ont essayé peut-être de faire un usage un peu moins immodéré de ce qui a été souvent un prétexte à une certaine époque, à lépoque Giscard-Pompidou. Mais certains cas récents dutilisation de cette histoire de ressortissants à protéger, sont aussi discutables.Dun autre côté, pas dintervention, et ça crie de partout, y compris chez les «nouveaux démocrates» qui disent: «Intervenez, sil vous plaît!». Mors, désarroi supplémentaire de ce qui reste de la gauche française: est-ce quon va y aller? Ce nest pas très propre. Quest-ce quon risque? On va se faire accuser de on ne sait pas quoi. etc...
Côté français toujours, le réseau des bases militaires. Cest un réseau ancien; que faire avec ces gens? Cest utile bien sûr, par certains côtés stratégiques. Mais les temps changent; cest cher, et puis cest critiqué. Tout ça est en train dêtre discuté, et il va sans doute falloir dans les mois, dans les années qui viennent, trouver dautres solutions. On a un partenaire. français par exemple, et
- cest vrai pour le cas de Madagascar - il est à. la fois recherché et accusé en même temps. Ce ne sont pas des rapports faciles.
LE PRET-A-PORTER AMERICAIN
Quelques mots également du modèle américain, des recettes proposées par Washington car on a limpression quun pays comme la France est en train de se dissoudre peu à peu: ça ira doucement parce quil y a toute sorte de liens, mais lAmérique est en train de surgir sur le continent africain. Cest le nouveau partenaire triomphant, après la «victoire» du Golfe, et leffondrement de Moscou.
M. Bush sest félicité, en janvier, bruyamment, de la mort du communisme; il a enterré en même temps le non-alignement, chose quon a un petit peu moins vu, mais ils ont considéré que cétait fini le non alignement. M. Bush affirme que lAmérique nest plus considérée comme un ennemi, encore moins comme impérialiste, cest simplement un nouveau partenaire.
Donc, les affaires doivent être vues, daprès eux, sous un angle différent: eux-mêmes arrivent sans la CIA, directement; sans le Pentagone; pour avoir des rapports normaux; et sans essayer denvoyer des armes par une guérilla par dessous; sans faire de manipulation, comme ils lont fait par exemple en Angola.
Leur grand modèle, cest Soglo le Béninois, il est présenté comme «lhomme des. marchés libres». Le président béninois, il est vrai, se vante de gérer son administration comme une entreprise privée; ce qui, sans doute, nest pas si aisé à lancer, mais cest le genre didéologie que les Américains aiment bien.
Les Etats-Unis font une rentrée diplomatique fracassante; ils sappellent eux-mêmes «peacemakers», après laffaire de lAfrique Australe, les grands succès quils ont tout de même enregistré en Angola; après ce quils ont réussi dans la corne. Certes, ce sont les guérillas qui se sont battues, mais la sortie de Menguistu et le bénéfice politique. le fait quon ait demandé à une guérilla soi-disant «marxiste maoiste» de venir occuper Addis-Abeba et de prendre le pouvoir, ce sont eux, les Américains qui ont osé ce coup Invraisemblable, et qui maintenant en récoltent divers dividendes.
Ils proposent une nouvelle politique qui est une garantie de bonheur à long terme, parce quils ont la fol dans louverture libérale etc. Ils font un lien explicite entre laide publique et la démocratie: Vous êtes démocrates, je vous aide; vous nêtes pas démocrates, je ne vous aide pas.. .Alors que les Européens ont mis beaucoup de temps:
ils sont en train de faire de l »aide liée», depuis quelques temps: cest notamment le cas du Zaïre, et puis de la Somalie pour laquelle laide a été interrompue bien sûr; mais ça na pas été le cas précédemment, tandis que les Etats-Unis ont déjà codifié cette affaire de «lien» depuis un certain temps, et le mettent en pratique de plus en plus, en parallèle avec une réduction du budget de laide à lextérieur; ils veulent maintenant sélectionner énormément leurs interventions.
Il y a aussi, en ce qui concerne les USA, le phénomène un peu «Racines de la communauté noire américaine, qui considère la rentrée en Afrique comme un devoir. Il y a le fait que les chasses gardées traditionnelles
- françaises ou autres - tendent à se dissoudre un petit peu, et quil n~ aura plus ce partage des taches quil y avait auparavant. Il y a le fait que lélectorat américain se Tiers-Mondise un peu, à travers les Noirs Américains qui sont une population démographlquement Importantes, mais aussi les Mexicains et autres ethnies qui tendent à prendre une importance de plus en plus grande dans la société américaine. On parlera, dans quelques années, dun tiers de lélectorat qui sera dorigine du Tiers-Monde, dans le sens global du terme. Ca peut prédisposer à ce que lAmérique se présente sous un jour différent, un peu comme elle faisait au temps de la guerre dAlgérie; quand les Français et les Algériens se tapaient dessus sauvagement, lAmérique était pour la libération de lAlgérie; elle présentait un jour intéressant pour les Nationalistes algériens. LAmérique arrive maintenant avec son prêt-à-porter démocratique; un «kit». en général libéral, du régime à remonter soi-même, proposé aux différents pays africains, avec la privatisation, lajustement, les élections etc...
PARALLELES AVEC MADAGASCAR
Il y a quelques points sur lesquels on peut faire des parallèles plus affinés avec le cas malgache. Je pense au processus politique qui est en cours, je pense au sort du président, à larmée, à la question régionale et aussi au rôle de la France là-dedans.
Pour ce qui est du processus politique, en général le «processus type» cétait
- dans les pays dAfrique de lOuest notamment, où il y avait un pouvoir monolithique au début dabord la contestation, puis la revendication dune conférence nationale. Ca pourrait se passer différemment, par exemple sur la lancée dun massacre particulièrement horrible, au Mail: les fusillades, ensuite coup détat militaire, arrestation du chef de létat, et puis, on décide de faire une conférence nationale sous la protection, si lon peut dire, des nouvelles autorités provisoires.Cela a été le cas également au Bénin, après différents scandales, la banqueroute de létat; là, cétait plutôt peut-être le facteur économique, qui a fait que le régime sest aplati complètement sur lui-même.
Au Niger, cest une autre affaire de tir sur les étudiants, qui a joué le rôle de déclencheur, et puis également un massacre de Touareg.
Au Gabon, cétait la grève et
- sur la lancée du multipartisme accordé par Bongo finalement - ils ont donc décidé de faire cette conférence nationale.Au Zaire, les manifestations, la banqueroute de lEtat, les pressions extérieures, tout ça a fait quon a été vers cette conférence nationale qui visiblement nétait pas tout à fait linstrument adapté à la situation, si lon en juge par les résultats.
Il y a dans dautres pays une ligne un peu différente: celle du refus de la conférence nationale, considérée comme un coup détat légal. Cest le cas du Cameroun, de la Centrafrique. du Burkina Faso, de la Mauritanie, qui préfèrent concéder des élections à la rigueur, mais pas de conférence nationale dans la mesure où cest une contestation trop vaste, et ça arrive à remettre en cause un processus de transition déjà amorcée.
Jajoute aussi, dans les processus politiques, les styles «lutte armée», qui sont un peu différents: la Somalie ou lEthiopie, pour lesquels cela a abouti quand même à des conférences nationales, pour tenter de dénouer les guerres civiles.
Alors le cas malgache, en rappelant dabord quelques points de parcours: il y avait un multipartisme tempéré, bloqué, verrouillé, mais multipartisme quand même, à Madagascar, depuis déjà longtemps. Il est devenu intégral après différentes pressions, en 88-89. Il y a eu cette élection présidentielle, très vite contestée donc en 89. Il y a eu, en 90, lopposition qui sest organisée avec déjà deux concertations nationales boudées par le pouvoir, mais qui présentaient tout de même une alternative, et qui ont donné naissance à ce conseil national des Forces Vives, qui est la matrice des différents courants dex-oppositions devenues la majorité de fait que nous avons maintenant. Il y a eu, en 91, le mouvement populaire de masse, qui a administré la preuve dune certaine légitimité, de la place du 13 mai.
Puis le refus de concessions du pouvoir, la marche sur le palais, qui a été une étape supplémentaire puisque le sang a coulé, et aussitôt lopposition a utilisé cela comme une
deuxième légitimité, face au «président assassin» bien sûr. Des dissensions internes tout de même, au sein de cette opposition, ces Forces Vives, quand des élections ont failli être concédées par le pouvoir. Les médiations des églises, dun côté, française de lautre, avec les différents épisodes quil y a eu. Lorganisation de la transition, avec cette fameuse convention qui a fini par être adoptée sous la pression de larmée qui, commençait semble-t-il à perdre patience. Le consensus plus ou moins acquis après signature de cette convention du 31 octobre et la formation dun gouvernement de relative union nationale, avant même lorganisation dun Forum national.Donc, dans le cas de Madagascar, un processus de long terme, planifié. relativement calme. Je mets entre parenthèses le très grave massacre de Iavoloha; mais, en principe, un mouvement, qui se voulait graduel et pacifique. A mon avis, laffaire de la marche sur le palais nétait pas une démarche pacifique: ceux den face, au palais, nont certes pas été pacifiques, mais ceux qui ont fait avancer la marche nétaient pas «pacifiques» non plus; Ils ont fait sans doute un acte très inconsidéré. Mais lensemble de la philosophie était de lordre du pacifique tout de même, et de lordre du consensus, plus ou moins, puisque même lancien parti au pouvoir et ses alliées
- le MMSM participent au gouvernement dunion nationale actuellement. Donc, une demi-union nationale qui a préexisté à la réunion du Forum, qui devrait discuter de la future constitution.Avec aussi à noter, cette affaire de «convention», négociée entre des chefs de différents courants, mais dont les conditions de représentativité sont parfois discutables. Ces conventions peuvent être aussi considérées comme une forme de coup détat légal, puisquelles aboutissent au dessaisissement du peu qui restait encore comme pouvoirs à. lancien président.
RATSIRAKA
ET LES OCCASIONS MANQUEES.Autre point, justement le sort des anciens présidents en généra]. Il y a plusieurs solutions. Dans le cas du Bénin, on accepte la conférence nationale, on se porte même candidat à lélection, et
- dans le cas de Mathieu Kérékou - on ressort battu. Ou bien, on résiste et on se retrouve neutralisé, contesté, on arrive plus ou moins à. sauver son mandat; et on reste une caution aussi, puisquon considère quon représente certaines régions, certaines forces sociales et politiques qui méritent dêtre représentées le plus longtemps possible. On reçoit lappui, dailleurs, de ces anciennes forces éventuellement, notamment militaires, comme dans les cas du Congo et du Togo, pour Sassou Nguesso ou Eyadema.Le cas malgache, Ratsiraka: on connaît le personnage; la fierté, la dureté, le sentiment davoir le droit pour lui, le refus de discuter, de concéder, de sentir le danger au bon moment, la capacité à gagner du temps au maximum, et
... pour finir, à rater les occasions.On a compté les occasions quil avait ratées vers le mois de juillet et août, de faire les concessions au bon moment, pour éviter dêtre confronté à une situation encore pire après, et y compris à un dégât humain considérable et dramatique comme au mois daoût. La stratégie du bunker, laffaire du palais loin de la capitale dans lequel il a fini par se laisser enfermer: il croyait ça très malin au début, il y a quelques années, et puis là il sest fait neutraliser dans ce fameux palais lointain. Sa croyance dans le fait que la capitale ne lavait jamais aimé, ce qui est dailleurs vrai, Je crois, mais du coup, cest le sentiment quil a eu du droit à jouer la province contre Tanà. Cest-à-dire un «truc» utilisé tardivement, comme à certains égards ont essayé de le faire Eyadema ou Nguesso dans leur pays, enjouant le Nord contre le Sud.
Donc, la tentative pour Ratsiraka de maintenir le maximum de pouvoir face à la transition; et puis ensuite, la fiction du pouvoir; et puis enfin, la seule chose quil essaie de sauver apparemment en ce moment, est le droit de jouer la partie, le droit dêtre candidat, davoir accès au jeu démocratique. Cest un piège évidemment, pour ceux qui prônent la démocratie, mais qui la refuseraient à leur ancien adversaire. Question difficile à régler sans doute et qui nest pas seulement philosophique, le personnage ne se considérant pas comme battu tout-à-fait et faisant encore peur, à tort ou à. raison, malgré ces images négatives supplémentaires, celles dassassin (Iavoloha) ou celle de «manipulateur» laffaire des provinces fédéralistes.
Un homme qui est privé maintenant de lessentiel de ses bases; il na pratiquement plus lappareil dEtat; lannée, il nen a certainement que des bribes, à part son fameux régiment présidentiel peut-être. Les élus ont été suspendus récemment, les élus des collectivités décentralisées sur lesquels Ratsiraka comptait beaucoup pour essayer de reprendre la main. Finalement tous les pouvoirs confisqués les uns après les autres par la fameuse HAE (Haute Autorité de lEtat) dAlbert Zafy, qui veut prendre beaucoup de pouvoirs, au point même quil est critiqué un peu comme étant «dictatorial» par certains de ses amis.
Il y a aussi la question de lannée, qui, dans beaucoup de pays africains. a été le rempart des régimes contestés... Dans certains pays marqués ethniquement, cétait larmée de telle communauté, de telle ethnie, en général larmée du président, la garde présidentielle, les unités délite avec un recrutement particulier et mieux payé. entraînées etc. Dans certains pays, elle avait été acteur de coup détat, et avait mis au pouvoir le régime; donc, elle a certains droits, elle a une certaine légitimité sur laquelle elle peut compter. Comment on a essayé de la «civiliser», de la neutraliser sans perdre la capacité militaire de force de défense des frontières ou de lordre Intérieur en dernier recours.. .Cest un des problèmes qui existent quand on veut faire un régime démocratique.
Dans le cas de Madagascar. je crois que lannée sétait tenue très distante aux temps de Tsiranana qui avait lui-même sa petite garde présidentielle, les FRS, qui a été un regroupement ethnique. Mais dans lensemble, lannée proprement dite était neutre et en tout cas lointaine. Elle navait pas tellement voulu du pouvoir en 72. Elle avait ensuite fourni des cadres au nouveau régime et un appui à lunité nationale mais sans une implication totale.
Elle a été sur la réserve finalement, au moment du déclenchement des mouvements de protestation de lan dernier, avec une dominante «légitimiste», même si certains généraux étaient en rupture de banc et étaient dans lopposition, ce qui prouve sa diversité. Larmée qui a pesé ensuite dans le processus pour un règlement négocié, quel quil soit, en voulant que les affaires marchent, que le pays soit géré, et en se proposant dobéir au régime, à la limite quel quil fût, afin dobtenir le déblocage: elle a même menacé plus ou moins dintervenir pour son propre compte, si vraiment rien ne se faisait, parce que trop cétait trop, on en était au cinquième ou sixième mois de grève général.
Elle na pas, je crois, une Image si dangereuse, sauf le régiment de sécurité présidentielle
(RESEP); elle est prête à mon avis à réintégrer, si ce nest pas déjà fait, la neutralité, à sinsérer dans le nouveau jeu.«MOI OU LE CHAOS»
Un des derniers points: la question régionale. La suppression des partis uniques, dans les pays africains, a amené à un certain relâchement dans lunité nationale: cétait normal, parce que les partis uniques ont été des machines à «creuset», comme en Occident par exemple le service militaire. Il y a eu un réveil des particularismes. Il y a eu plus de dialogue, moins de sécurité; plus dinitiative, plus de pagaille parfois, moins de pouvoir central; des chances nouvelles données à la décentralisation réelle, des pouvoirs locaux (mais ça peut être aussi une prime aux féodalités locales) etc.
Résurgence des tensions, notamment ethniques, dans des pays comme le Togo, le Congo, le Cameroun, la Guinée, je ne parle que pour mémoire de la Somalie, de lEthiopie et puis dans les proportions beaucoup moins vives, dun cas comme Madagascar.
A Madagascar, on a eu un mouvement dopposition auto-proclamé, opposition de masse, surtout tananarivienne au début, en tout cas dans les villes, parce que cest la nature de ce style de mouvement démocratique. Ce qui a dû exaspérer certains secteurs des provinces, à certains moments ne serait-ce quà travers le blocage dû à lappareil administratif qui est surtout concentré dans la capitale. La centralisation du paiement des soldes des fonctionnaires par exemple ,qui narrivaient pas dans les provinces.., on a noté aussi, ça et là, le retour de ressentiments anciens qui sont connus: le régionalisme, des aspirations à une meilleure répartition locale des richesses, des choses dont Ratsiraka - à court de munitions - a été tenté de Jouer; favorisant cette idée d»états fédéraux», prenant contact avec les chefferies traditionnelles soudain courtisées, se proclamant le garant de lunité nationale, en faisant le coup du «Moi ou le chaos»: si ce nest pas moi qui fais ça, le pays va éclater. Mais , tout de même, cette démarche a été contrée par le mouvement des forces vives, qui avait sa représentativité également à lintérieur, au moins dans les villes. La suspension des élus des collectivités décentralisées, na pas eu de graves conséquences: cétait vraiment un des derniers socles sur lesquels le président espérait appuyer le maintien dune parcelle de pouvoir, et amorcer une stratégie de reconquête.
Pour finir, lattitude de la France dans le cas de Madagascar. Elle a été particulièrement hésitante. A Paris , même, il y avait plusieurs thèses: ceux qui pensaient que Ratsiraka nest pas lhomme le pire du monde, quon lui faisait un sort Injuste, quaprès tout Il saméliorait beaucoup depuis quelques années, etc. Et dautres qui lavaient toujours considéré comme une graine de dictateur et quil valait mieux en finir le plus tôt possible, avec lui, son entourage, la corruption etc.
La France embarrassée, soucieuse de ne pas perdre - dans une affaire hasardeuse un régime allié de plus: lambassadeur qui arrive tard, qui pose une gerbe aux victimes de la fusillade du palais, mais qui est accusé deux semaines plus tard de se comporter comme un proconsul. ..Ca ne sest jamais très bien passé, et la France a dO perdre là pas mal de terrain politique, si lon en juge par lespèce de ressentiment qui continue de se manifester dans certains milieux malgaches, comme dailleurs ça sest passé au Togo, Congo, Cameroun, Djibouti, et quelques autres pays.