EMPLOI ET AJUSTEMENT STRUCTUREL.

par Guy Pourcet

Voyons les enjeux et les ramifications dune politique de l’emploi à Madagascar. Mon idée est la suivante, la politique économique malgache depuis dix ans n’est pas la politique d’un gouvernement malgache. c’est la politique du FMI (Fonds monétaire international). Il ne faudrait pas attribuer tous les malheurs de Madagascar au gouvernement. Remontons donc le temps.

Dans les années 60. le gouvernement malgache a mené une politique budgétaire et monétaire d’une extrême prudence. Le pays n’était pratiquement pas endetté en 1972 (il ne l’était encore pratiquement pas en 1978). Le gouvernement malgache menait aussi une politique d’équilibre budgétaire, de sorte que l’épargne public était faible. Comme, par ailleurs, les gouvernants avalent le souci de relever le niveau de vie de la population. donc d’augmenter la consommation, l’épargne nationale globale était faible de même que le taux d’investissement; et lorsqu’on n’investit pas, on n’a pas de machine pour mettre entre les mains des gens qui veulent travailler, la couverture de la croissance démographique ne se faisait pas et le retard d’investissement induisait un chômage croissant.

Augmentation du chômage jusqu’en 1972 où l’on a vu des jeunes, inquiets de leur avenir, descendre dans la rue. Leurs parents qui étalent tout aussi Inquiets de l’avenir descendent aussi avec eux dans la rue. Il me semble que l’une des raisons fondamentales des événements de 1972 - c’est une idée d’économiste peut-être - est le problème de l’emploi. Certes il y avait eu des créations d’entreprises, et notamment des créations d’entreprises industrielles. Les investissements industriels des années 60 avaient été financés par le ré-investissements des bénéfices commerciaux, réalisés par les compagnies de traite: La Marseillaise, La lyonnaise, etc. Ces investissements étaient réinvestis dans des usines comme Somalaval. On voyait se construire un appareil industriel contrôlé par ces compagnies de traite, pour l’essentiel. Cela réussissait relativement bien puisque les taux de croissances industriels réels atteignaient à cette époque, environ 10% par an. Mais le pays s’industrialisait-il pour autant? Ce chiffre de 10% ne nous masque -t-il pas la réalité? La croissance de l’emploi industriel était très faible. Elle était faible pour la raison suivante: le coût de création d’un emploi industriel était très élevé. Je ne vous citerai qu’un chiffre à. cet égard: en Europe. en Angleterre dans les années 1780, le coût de création d’un emploi industriel était l’équivalent de quatre mois de salaire: il faut garder ce chiffre en tête. Dans les années 60 à Madagascar, le coût de création d’un emploi industriel était l’équivalent de dix ans de salaire; dans les années 80 on est monté à 25 ans de salaire.

Le coût de création d’un emploi étant très élevé dans les activités industrielles, il faut être conscient que la croissance Industrielle créera peu d’emplois. Il faudra tout à l’heure nous demander où pourront être créés des emplois?

Entre 1972 et 1978. nous assistons à une nouvelle baisse du taux d’investissement. L’administration, et plus généralement le secteur public, sont les régulateurs de l’emploi; le chômage est résorbé grâce à la création de postes administratifs ou para-publics «un peu parasitaires». Ceci augmente les dépenses des administrations et diminue l’épargne publique; le gouvernement doit augmenter les recettes pour couvrir les dépenses des administrations, augmenter les impôts. Le secteur public s’étend au dépens du secteur privé, l’épargne nationale diminue, le taux d’investissement diminue, le déficit des emplois officiels augmente. On assiste à une diminution du PIB par tête qui va en s’accélérant; Il devient urgent de lancer une politique d’investissement créatrice d’emplois.

En 1978, le Président Ratsiraka, lance la politique d’investissement à outrance. Ces investissements sont financés sur l’endettement extérieur. Le service du plan ou les services techniques étant dépassés par les événements, les investissements sont parfois mal orientés: notamment, les CUR (32 milliards de FMG investis) ne donnent pas de retour immédiat; dans ces conditions les problèmes de remboursement surgissent: il faut ré-échelonner les dettes: on fait appel au FMI pour aider l’équilibrage de la balance des paiements. Lorsque le FMI s’intéresse à un pays il fait à peu près toujours la même analyse et propose à peu près toujours la même série de mesures de politique économique: un paquet standard visant à réduire la dépense nationale. Je m’arrêterai un peu sur les analyses et les méthodes d’intervention de cette Institution.

Traditionnellement, les besoins de financement des pays en voie de développement sont traités en deux temps: dans un premier temps, on traite la question du financement du développement: on se préoccupe de la mobilisation des capitaux à long terme. Les projets de développement ne peuvent être financés que par des capitaux à long terme puisque le retour des bénéfices qui permettront le remboursement ne viendront qu’au bout de quatre ans, cinq ou davantage. Un deuxième problème de financement peut se poser: c’est le problème du maintien du niveau d’importation. Au jour le jour, il faut pouvoir importer tous les intrants et les biens de consommation nécessaires au fonctionnement de l’économie locale. Ces besoins de fonctionnement au Jour le jour sont traditionnellement couverts par des liquidités (à court terme) que l’on emprunte sur les marchés internationaux. Il y a une opposition entre ces deux modes de financement: celui des projets, c’est-à-dire du développement, et celui de la balance des paiements courants.

 

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Au sein des Institutions internationales, la Banque Mondiale s’occupe traditionnellement du premier problème et le FMI du second. Le FMI traite le problème de l’équilibrage des paiements extérieurs en terme de stabilisation (il y a 15 ans, les politiques du FMI s’appelaient les «politiques de stabilisation»). Or, dans les années 70 où l’économie d’endettement à l’échelle mondiale s’est développée grâce à la multiplication des euro-devises, grâce au desserrement de la contrainte monétaire internationale, les déficits des balances des paiements sont devenus structurels. Les banquiers internationaux créaient des euro-devises qu’ils prêtaient à des taux d’intérêts réels négatifs. Celui qui empruntait était assuré de ne pas rembourser.

Pour le gouvernement malgache, il était intéressant de s’endetter: pour les banquiers il était intéressant de prêter puisqu’il valait mieux prêter son argent à 5% que de ne pas le prêter du tout et de subir totalement l’inflation; donc tout le monde était content. Cela fonctionna jusqu’en 1980, puis la «reaganomie» ferma les robinets de la monnaie internationale. En 1980 le dollar qui était à 4,5 FF passe à 9 ou à 10 FF: les pays qui avaient emprunté en dollar à 4,5 FF doivent rembourser à 10. Les taux d’intérêt réels deviennent positifs, et lorsqu’on ré-échelonne la dette, on la convertit en de nouveaux emprunts au taux d’intérêt du jour (positif). C’est ainsi qu’on endetté un pays.

Je vous disais que depuis les aimées 70, les déficits des balances des paiements étaient devenus structurels. Lorsqu’on a dû rééquilibrer les paiements intérieurs, lorsque la période de l’argent facile s’est terminé, il a fallu restreindre à tout prix les importations de tous les biens, des biens de consommation aussi bien que des intrants. Le chômage technique se développait parce que la capacité d’importation avait diminué. On assistait donc à une stérilisation progressive des capacités de production, une stérilisation qui pouvait devenir irréversible. Dans leurs programmes d’ajustement structurel (PAS), en règle général, le FMI et la Banque Mondiale se proposent d’éviter cette stérilisation. Faute de pouvoir importer les intrants nécessaires, les usines malgaches ont ralenti ou cessé leur production. Cette stérilisation des capacités de production menaçait de devenir irréversible, et c’est pourquoi le gouvernement malgache dut faire appel au FMI, lui demander de l’aide pour desserrer les contraintes de financement extérieur. Nous remarquerons que les problèmes financiers du court terme et les problèmes réels des moyen et long termes sont liés dans ce contexte.

Le FMI et la Banque s’associent dans ces politiques d’ajustement structurel parce que, désormais, les problèmes de développement à long terme et les problèmes de l’équilibrage des balances de paiements, c’est-à-dire les problèmes réels et les problèmes financiers ne font plus qu’un.

Quelle est l’analyse du FMI à cet égard? Le FMI ou la Banque Mondiale prétendent que l’équilibre des forces socio-polittques dans le pays a entraîné un excès structurel de la demande intérieur sur l’offre, que le pays consomme plus qu’il ne produit. Les classes moyennes urbaines ont si bien défendu leur niveau de vie que la consommation intérieure est devenue supérieure à la capacité de production, il faut, dès lors, importer la différence. Il faut également que le gouvernement donne du pouvoir d’achat à ces classes moyennes, on augmente la masse salariale en tolérant un déficit budgétaire relativement Important grâce à une politique de crédit laxiste. L’expansion de la masse monétaire à Madagascar a été phénoménale entre la sortie de la zone franc et 1980. Tout ceci provoque une Inflation à l’intérieur du pays; les prix montent, les produits locaux deviennent moins compétitifs sur le marché international, les exportations baissent tandis que les importations augmentent et le déficit de la balance des paiements s aggrave.

 

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Que professer quand on a fait cette analyse? Les recommandations de politique économique du FMI peuvent être résumées comme suit: d’abord, il suggère un contrôle strict des déficits budgétaires: il faut réduire les dépenses en personnel, abolir les subventions à la consommation, augmenter le prix du riz, la pression fiscale, les tarifs des entreprises publiques... Le but est de réduire la dépense nationale pour faire apparaître une épargne qui financera des investissements. Il suggère également de contrôler la création monétaire, d’encadrer le crédit, d’augmenter les taux d’intérêt, de libéraliser le contrôle des changes et de dévaluer la monnaie nationale. Pourquoi dévaluer la monnaie nationale? Parce qu’ainsi les importations reviennent plus cher et ceci permet de faire reculer la consommation et d’équilibrer les paiements extérieurs. L’idée de base, je le répète, est la réduction de la dépense nationale.

Revenons à Madagascar. Que demandait le FMI en 1981? Il exigeait une réduction du déficit du trésor public grâce à un accroissement de la pression fiscale, et à une suppression des 2/3 des subventions à la consommation du riz. Le FMI demandait également une hausse de cinq points du taux d’intérêt et une dévaluation de 25%, en 1984. Il exigea une nouvelle dévaluation, la suppression totale de la subvention à la consommation du riz, la libéralisation (c’est-à-dire la privatisation) de la commercialisation du riz et du transport, une austérité budgétaire, et toute une série de mesures de restriction monétaire.

Qu’est-ce qui en a résulté? Rappelons-nous combien on payait le riz à Antananarivo en 1981. Il était encore à 60 FMG le kilo. En 1982, 140 FMG. Il est monté à 800 en 1985. Il n’y a pas eu de « rotaka », Il n’y a pas eu d’émeute. Demandons-nous pourquoi? Nous pouvons évoquer plusieurs réponses à cette question: premièrement, le gouvernement a opéré une sorte de verrouillage socio-politique. Je m’explique: sI l’on veut éviter qu’il y ait des émeutes graves, il faut faire des émeutes préventives; il faut mobiliser quelques sous-prolétaires et leur faire faire des émeutes bien contrôlées sur l’avenue de l’indépendance. Cela traumatise la population bourgeoise d’Antananarivo, lui ôte l’envie de manifester. Il y avait des émeutes préventives tous les six mois.

La seconde réponse est plus économique: les revenus n’étaient pas aussi bas qu’on l’imaginait. Les enquêtes sur les revenus des ménages à Antananarivo montrent qu’il y a une chute phénoménale des revenus: entre 1968 et 1979 ils ont diminué de 47%; entre 1979 et 1984, ils ont encore diminué de 50%. En 1981, un SMIG permettait à une famille de quatre personnes, consommant 400g de riz par jour et par personne, de consacrer à peu près 24% de son revenu à l’achat du riz; en 1985, après l’augmentation du prix du riz avant la libéralisation, elle devait dépenser 127% du SMIG ou «se serrer la ceinture». Après la libéralisation, je ne fais plus le calcul, par pudeur.

Mais ces résultats sont trompeurs. En fait, la population malgache a réussi à ajuster ses ressources et ses dépenses sans recourir aux secteurs officiels. On a vu se développer, tout au long des années 70 et 80, un secteur informel urbain; on a vu augmenter le nombre des emplois et des revenus Informels, et puis les Tananariviens ont pu acheter dans le secteur informel des subsistances à des prix moins élevés que ce qu’ils auraient payé dans le secteur moderne. Au vary mitsangana à Analakely il y a trois ans on mangeait un plat de riz avec un peu de laoka pour 150 FMG. Le coût de préparation d’un repas dans une famille était beaucoup plus élevé. On voyait donc des familles entières manger au vary mitsangana. Le secteur informel, de plusieurs manières, a permis d’amortir le choc de l’accroissement des prix, le choc de l’Ajustement Structurel.

Essayons de tirer les quelques leçons de cette expérience. J’en vois trois:

première leçon: les problèmes de l’emploi sont indissociables de ceux de la répartition des revenus, de la formation de l’épargne et de l’investissement, de celui de la formation des prix et de la stabilité politique. L’emploi est au coeur de ces problèmes.

Deuxième leçon:

l’emploi n’est pas seulement l’emploi salarié. Si dans les années 1960 à 1975,le régulateur de l’emploi était l’administration ou le secteur public, depuis 1975, par contre, Il est devenu le secteur informel. C’est la création d’emploi dans les petits métiers, chez les tireurs de pousse-pousse, les fabricants de mofo gasy»etc.. .qui résout le problème malgache de l’emploi aujourd’hui. Bref, l’emploi, ce n’est pas seulement l’emploi salarié, c’est l’emploi salarié plus l’emploi non salarié agricole et du secteur informel. Troisième leçon: Un emploi peut associer plusieurs activités. Comment les gens survivent-ils aujourd’hui? Ils ont un emploi principal, une activité principale qui est salariée, et puis une, deux, trois activités secondaires: leurs épouses ont une ou deux activités et leurs enfants en ont également; en fait un emploi ne correspond pas à une activité unique.

Je vais expliquer que les politiques d’ajustement structurel influencent les conditions de l’emploi à Madagascar, mais que cette influence s’exerce à travers une structure très particulière, celle de l’économie malgache. Les conséquences de l’ajustement structurel ne sont pas celles que l’on pouvait prévoir (et que prévoit ordinairement le FMI) en faisant fonctionner le modèle absolument théorique de l’économie libérale de marché. L’économie malgache n’est pas une économie de marché, non pas parce qu’elle serait socialiste, mais tout simplement parce que la plus grande part des produits fabriqués à Madagascar ne sont pas échangés sur le marché. Je poserai donc deux questions: comment le problème de l’emploi se pose-t-il à Madagascar? Et comment les Programmes d’Ajustement Structurel interfèrent-ils avec ce problème.

 

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LES CONDITIONS DE L’OFFRE DE TRAVAIL.

Qu’est-ce qui détermine l’offre de travail? En premier lieu c’est la démographie. Le taux de croissance de la population malgache est relativement élevé (2,8% par an), la population est jeune, le nombre de personnes arrivant en âge de travailler est important. Si l’on devait simplement embaucher les gens qui arrivent en âge de travailler, il faudrait épargner et investir 11% du PIB, c’est à peu près ce qu’on fait. Mais pour doubler le niveau de vie des Malgaches en 30 ans, il faudrait Investir plus de 20% de PIB. Si l’on veut améliorer la productivité et accroître le niveau de vie des Malgaches, on aboutit à des taux d’investissement qui sont hors de portée actuellement.

Intéressons-nous à la répartition sectorielle des emplois. En 1966, la population active s’élevait à 2 728 000 personnes; le taux d’activité s’élevait à 44% et le taux de croissance de la population à 2,2%. 88% des actifs travaillaient dans le secteur primaire, 3,5% dans le secteur secondaire et 7,5% dans le secteur tertiaire. Peut-être pensez-vous que la part des emplois salariés secondaires et tertiaires devait être accrue? Fixons un objectif pour l’année 1976: Imaginons que 70% seulement de la population active soit employée dans le secteur primaire, 15% dans le secteur secondaire et 15% dans le secteur tertiaire. Pour réaliser cet objectif, il faudrait créer 508 000 emplois industriels et 508 000 emplois tertiaires. Sachant que le coût d’un emploi industriel s’élevait à 2,08 millions FMG en 1966, que le coût d’un emploi tertiaire s’élevait à 0,54 millions, on peut calculer le coût de ce changement de la structure des activités: Il aurait fallu Investir 968,8 milliards FMG en dix ans dans les activités industrielles et tertiaires, soit 96,88 milliards par an ou 65% du PIB de 1966. Ce coût est exorbitant; Madagascar ne pourrait pas épargner 65% de son PIB et changer aussi rapidement la structure de l’emploi. Ceci permettra sans doute de mieux comprendre pourquoi l’emploi officiel a stagné tandis que croissait l’emploi informel.

Il faudrait aussi nous préoccuper de la répartition de l’emploi par niveau de qualification mais si nous faisons cela. Il faudra ajouter au coût de création de l’emploi. le coût de la formation de la main d’oeuvre, l’opération reviendra encore plus cher.

En période de haute conjoncture à Madagascar, on peut distinguer deux sortes d’emplois: ceux qui offrent une rémunération supérieure au minimum vitale ou dont la rémunération permet de faire vivre une famille achetant les produits sur le marché; et ceux dont la rémunération ne permet pas de faire vivre une famille. Dans la première catégorie on trouve les ouvriers qualifiés, les cadres, les ouvriers professionnels; dans la deuxième on trouve les ouvriers spécialisés, les manoeuvres. etc. En période de basse conjoncture, une partie des gens qui se trouvent dans la première catégorie passent dans la deuxième. Dans ces conditions, trois cas peuvent se présenter: premier cas: la recherche d’une activité secondaire. Le chef de famille ayant trouvé un emploi secondaire sera plus ou moins absent de son poste de travail. Mais comme le taux de salaire a baissé en dessous de ce qui permet d’entretenir une famille, il devient illégitime de la part des employeurs d’exiger un effort de cet employé. On tolère donc la nonchalance, voire l’absentéisme, non seulement dans les administrations mais dans tous les secteurs. Le secteur moderne apprend à travailler comme le secteur Informel. Bientôt, il n’y aura plus de secteur moderne, l’emploi officiel est peut-être un archaïsme. Deuxième cas: le conjoint travaille dans le secteur informel. La femme du fonctionnaire peut se lancer dans la fabrication du mofo gasy ou devenir couturière ou lavandière etc.. .mais pour être efficace, c’est-à-dire pour rapporter de l’argent, cette marchandisation du travail féminin doit permettre une augmentation de l’intensité ou de la durée du travail, ou encore de sa productivité. Remarquez une chose: en Europe Occidentale les accroissements de la productivité à l’intérieur du ménage ont permis aux femmes d’aller travailler à l’extérieur, dans le tiers-monde ce n’est pas le cas, les appareils ménagers ne remplacent pas encore le travail domestique. La femme fait deux journées de travail à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Troisième cas: on développe des activités multiples dans le secteur informel.

Retenons simplement que lorsque les salaires officiels baissent, les salariés sont obligés de trouver des activités secondaires et que ceci accroît l’offre de travail.

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LES CONDITIONS DE LA DEMANDE DE TRAVAIL OU L’OFFRE D’EMPLOI.

Nous sommes confrontés à un problèmes grave et fondamental qui est celui de la sous-intégration de la main d’oeuvre dans les pays en voie de développement et notamment à Madagascar. Je veux dire que la rémunération du travail ne suffit pas à entretenir une famille en achetant les subsistances sur le marché. Dans ces conditions le salarié ou l’employé est obligé d’avoir une activité secondaire. Fréquemment c’est une activité agricole. En fait, un ouvrier travaillant dans l’industrie à Antsirabe, par exemple. dépense ou consomme son salaire plus le résultat de son activité agricole. La main d’oeuvre doit avoir plusieurs activités et ceci est traditionnel.

En quelques mots voyons quels secteurs pourraient créer des emplois. Peut-on créer des emplois dans le secteur administratif? Tant que la politique du FMI est de restreindre les dépenses de l’administration, on pose plutôt le problème de la déflation des fonctionnaires. A ce sujet, le débat porte sur les termes suivants: faut-il licencier des fonctionnaires et maintenir, voire augmenter, les salaires de ceux qui restent de façon à les Inciter au travail ou bien faut-il diminuer les salaires de tous les fonctionnaires? Dans les deux cas, on fait une économie budgétaire.

Peut-on créer des emplois dans les entreprises industrielles modernes? C’est bien difficile, du fait que le coût de création d’un emploi y est très élevé. Avec les ressources nationales, on ne pourrait pas créer un nombre significatif d’emploi permettant d’imaginer la résorption du chômage.

Peut-on créer des emplois salariés dans l’agriculture ? Je sais bien que certains imaginent que l’on peut créer des emplois salariés dans l’agriculture. Ils devraient se rappeler une chose: c’est que les agriculteurs américains ou français ne sont pas devenus des agriculteurs capitalistes: aux USA le nombre de salariés représente 20% de la population active agricole. en France c’est 14%. Pourquoi voudrait-on qu’à Madagascar l’agriculture soit capitaliste alors qu’elle ne l’est pas aux USA ni en France? Partout ce sont les exploitations familiales qui se maintiennent. Peut-être on pourrait se demander pourquoi en France , où l’agriculture familiale se maintient, les grandes exploitations agricoles n’ont pas accaparé les terres? Il y a des explications nombreuses dont celle de Kautsky. Kautsky explique qu’il est Intéressant pour une grande exploitation d’avoir autour d’elle des petits fermiers dont les propriétés sont insuffisantes pour survivre sans revenus salariaux d’appoint. Ces petits paysans s’en vont travailler à la saison des gros travaux agricoles dans la grande exploitation, puis reviennent chez eux cultiver leur terre. C’est très exactement le schéma des concessions du Nord-Ouest; une concession riche est celle qui a réussi à attirer suffisamment de migrants autour d’elle, des Betsileo, des Antandroy qui se sont installés autour et qui vendent leur travail d’une façon saisonnière. Ceci permet de les payer moins cher, bien sûr.

Peut-on créer de l’emploi dans le secteur informel? certainement. Tout à l’heure, je disais qu’on n’avait pas la possibilité de créer des emplois industriels nécessaires en 1966; Il est vrai que ces emplois industriels n’ont pas été crées, mais on n’a pas vu le chômage augmenter. Par contre l’emploi dans le secteur informel s’est développé. En fait c’est le secteur informel qui est le régulateur de l’emploi: il l’a été dans les années 70 et 80, il le sera probablement dans l’avenir. Mais si on fait cette observation, il faut se demander s’il n’y a pas de politique d’investissement dangereuse pour le secteur informel.

LE MARCHE DU TRAVAIL.

Y-a-t-il un marché du travail pour faire se rencontrer cette offre et cette demande de travail ? Je suis au moins sûr d’une chose: il n’y a pas un seul marché du travail, il y en a plusieurs. Certaines personnes n’ont accès qu’à des emplois précaires, d’autres qui ont été qualifiées par l’appareil de formation ou par les relations de leur famille, ont accès à d’autres emplois plus rémunérateurs. Dans ces conditions, les réflexions que se fait le FMI au sujet du marché du travail sont probablement erronées parce qu’ils imaginent qu’il n’y a qu’un seul marché du travail. Prenons le cas des grandes entreprises ou des administrations: on distingue bien les gens dont on a vraiment besoin, les contremaîtres, les ingénieurs, les ouvriers professionnels.., on sait bien qu’ils doivent être maintenus dans l’entreprise parce que leur savoir faire y est nécessaire. On s’applique également à faire suivre des stages de formation à cette main d’oeuvre, on la perfectionne parce qu’elle est nécessaire et on la paie plus cher. Par contre les manoeuvres sans compétence particulières peuvent être embauchés et rejetés sur le marché selon le besoin. On a donc deux grands types d’emplois: les bons, avec un profil de carrière, bien payés etc. pour les uns et les mauvais pour les autres.

Comment qualifier les emplois dans le secteur informel? Ce sont évidemment de mauvais emplois mais dans ce secteur l’instabilité des revenus et de l’emploi ne posent pas de problèmes catastrophiques, dans la mesure où, toute personne dont l’emploi est instable peut créer son propre emploi au prix d’un tout petit investissement, parce que les barrières à l’entrée sont faibles.

Revenons maintenant au PAS et demandons-nous comment une politique de libéralisation telle que celle que l’on observe aujourd’hui peut interférer avec la structure que je viens d’évoquer? Nos entreprises européennes ou américaines sont de grandes entreprises puissamment structurées qui garantissent un profil de carrière à leur salarié. Jamais on ne voit en Europe ce qu’on imagine dans la théorie économique, à savoir qu’on remet tous les soirs les salariés de l’entreprise sur le marché du travail pour les embaucher à nouveau le lendemain. En fait, les entreprises sont des organisations puissantes qui garantissent aux salariés de ne pas se retrouver tous les jours sur le marché du travail; le fait qu’elles soient organisées et que l’apprentissage s’organise aussi à l’intérieur de l’entreprise. permet d’accroître les gains de productivité donc la compétitivité de ces entreprises. L’organisation est un facteur essentiel de la compétitivité. Si nous menons maintenant une politique libérale pure, nous risquons de démanteler toutes les entreprises publiques ou industrielles officielles; il ne restera plus que le secteur informel. Si toutes les institutions à l’intérieur desquelles il est possible d’organiser des processus d’apprentissage ou d’accroissement de la productivité disparaissent, on courrait le risque d’une perte de compétitivité.

Je vous remercie.

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